Bibliothèques déficelées

Bibliothèque déficelées était une session de travail autour des bibliothèques numériques et des outils d’organisation de la connaissance qui a eu lieu en ligne du 31 mai au 5 juin 2020.

“Tools cannot be separated from the knowledge systems in which they have been imagined and made,” (Frozen Social Relations and Time for a Thaw : Visibility, Exclusions, and Considerations for Postcolonial Digital Archives by Martha Nell Smith, 2014)

La bibliothèque publique peut être considérée comme une forme archétypique de système de connaissances, qui affirme collecter, représenter et préserver les connaissances générales. Cela signifie centraliser les connaissances, et pour les bibliothèques institutionnelles, cela implique que les bibliothécaires seraient chargé.e.s de définir, collecter et classer les connaissances jugées significatives conformément à l’ensemble des valeurs et des missions de l’institution. Si une bibliothèque est généralement structurée selon un modèle hiérarchique, il peut y avoir divers degrés de transmission et mobilité à travers ses niveaux d’autorité.

La tâche du bibliothécaire d’organiser les connaissances se fait en dialogue avec d’autres parties, comme The Library of Congress, dont le système de catégories est utilisé par de nombreuses bibliothèques et qui est responsable de l’omniprésent format bibliographique MARC. Au sein de ses interelations complexes, les pratiques de conservation des connaissances ont historiquement surreprésenté certains récits, les systèmes de catalogue étant profondément ancrés dans la tradition occidentale, avec ses héritages coloniaux et patriarcaux. Ainsi, de nombreuses méthodes de transmission des connaissances se déroulant dans une multiplicité de contextes sociaux, géographiques et culturels ont été négligées et ignorées. Les bibliothèques sont principalement organisées autour du livre, qui demeure l’unité de connaissance canonique, tandis que les histoires orales, les objets non livres, les affiches murales, les dépliants, les livres auto-publiés et les zines sont moins présents.

La multiplication des bibliothèques et archives informelles liées à des communautés spécifiques, ainsi que l’apparition de bibliothèques numériques - légales et illégales - remettent en question les limites de la bibliothèque publique en tant que système de connaissance institutionnel et montrent la richesse de son en-dehors. Leur existence est significative pour de multiples raisons : pour leur contenu, collecté dans des environnements socialement et politiquement situés ; pour leurs structures, car elles proposent une variété plus large et plus sauvage de modes, critères, catégories, protocoles ; et leur présence, qui témoigne de nécessités auxquelles les bibliothèques publiques ne peuvent répondre. Les collections communautaires, les archives radicales, les bibliothèques numériques décentralisées travaillent depuis des décennies à leur manière aux côtés et contre leurs homologues institutionnels comme des formes de bibliothéconomie radicale et critique.

Les infrastructures et les outils numériques ont le potentiel de remettre en question les pratiques dominantes, en élargissant les conditions d’accessibilité et de capacité d’agir de la bibliothèque.
Que se passe-t-il si nous commençons à créer des parallèles entre les outils standards des collections des bibliothèques et les outils et stratégies plus informels, féministes et/ou oraux ? Quels modes d’action pouvons-nous inventer pour agir sur les omissions, les essentialisations, les généralisations et les stéréotypes dans les systèmes de catégorisation ? Pouvons-nous penser une fédération de bibliothèques sur la base d’autres critères que l’uniformité et la similitude ? Comment ouvrir les collections aux multiples formes de transfert de connaissances liées à l’oralité, aux objets situés, aux incarnations physiques, aux objets auto-publiés, aux vidéos... ? Que pouvons-nous apprendre de la promesse des formats numériques d’aller au-delà des pages, des numéros de page et des systèmes d’index qui ne sont liés qu’à la forme du livre ?

Session de travail

Constant organise une session de travail tous les six mois. Elles fonctionnent comme des laboratoires de recherche temporaires, des environnements de travail collectifs où différents types d’expertise entrent en contact les uns avec les autres. Les sessions de travail sont des situations intensives de disciplines diverses auxquelles contribuent des artistes, des développeur.euse.s de logiciels, des théoricien.ne.s, des activistes et d’autres. Pendant les sessions de travail, nous développons des idées et des prototypes qui, à long terme, débouchent sur des publications, des projets et de nouvelles propositions. Comme les sessions de travail sont multimodales, cette session de travail particulière sera façonnée en réponse à notre situation actuelle globale dans laquelle la proximité, l’échange et l’expérience d’être ensemble sont radicalement modifiés.

En pratique

Les Bibliothèques déficelées tentera de soutenir la recherche collective avec différentes configurations d’échange et de temporalité. Les participant.e.s ne seront pas ensemble physiquement et utiliseront différents outils en ligne pour rester en contact. Les participant.e.s joindront cette session de travail via une invitation à 5 jours de recherche et d’échanges intensive du 1er au 5 juin. La période de recherche est imaginée rythmée par des recherches individuelles ou collectives et des échanges en ligne entre les participant.e.s. L’auto-documentation et l’échange généreux d’idées et de connaissances sont essentiels.

Nous préférons travailler avec des logiciels libres et distribuer les travaux sous des licences de contenu ouvert. Si nous privilégions la philosophie du libre et de l’open source, nous sommes également conscient.e.s des liens entre l’idéologie de l’open access et l’extractivisme colonial. Nous voyons cette session de travail comme une occasion d’expérimenter avec différents moyens de partage. Par exemple, en explorant, les possibilités au-delà du binaire ouvert/fermé pouvant entraver l’imagination pour la complexité et la porosité. En addition, nous tenons à prendre en compte les droits à l’opacité dans l’accès et la transmission des connaissances (en particulier en ce qui concerne les communautés marginalisées).

Cette session de travail est organisée en collaboration avec Muntpunt (Bruxelles), BNA-BBOT (Bruxelles), BAL (Bruxelles), OSP (Bruxelles), Infrastructural Manoeuvres (Amsterdam), Hackers & Designers (Amsterdam), Mayday Rooms(Londres), The People Speak (Londres).
Un tout grand merci à la KBR (Bruxelles).