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Stepulevage, Linda

"Utiliser" et "l’utilisation" des applications bureautiques : récits à propos des rapports de genre dans les technologies

On-line version: http://digitales.constantvzw.org/texts/

Le présent document examine le terme "utiliser" ("using") pour tenter d’en retracer ses différentes significations dans le cadre de la bureautique. Si vous travaillez dans un bureau, vous utilisez probablement un ordinateur. Dans ma présentation, je m’intéresserai aux différentes manières d’aborder l’informatique qui puissent être représentées par le terme "utilisation". Mon analyse part de préoccupations politiques et sociales. Je m’intéresse à l’amélioration de la compréhension des rapports existants dans l’utilisation de l’ordinateur et de l’informatique et à la façon dont on peut transformer les "utilisations" restreignantes et empêchant la maîtrise de l’outil (’disempowering") dans les bureaux.

Je vais utiliser la première personne dans cette présentation [nous, pronom personnel sujet ou complément] puisque je m’identifie comme employée de bureau, et que je m’appuie sur mes propres expériences de travail de bureau pour explorer le terme "utilisation". J’ai passé la première partie de ma vie professionnelle dans des emplois de bureau et de secrétariat, et la plupart de mes emplois ultérieurs ont aussi impliqué du travail administratif et de bureau. J’ai décidé de prendre certaines de ces expériences pour en faire des récits sur l’utilisation de l’informatique. Mes récits n’utilise pas l’autobiographie seulement pour vous raconter mes différentes expériences. J’essaie de les utiliser pour explorer des intersections de structure sociale et d’action individuelle (Stanley 1992; Swindells 1995). Je pense que l’autobiographie est particulièrement adaptée à l’exploration des expériences telles que le travail sur ordinateur puisque ces expériences sont complexes, personnelles et intimes. Les histoires que je raconte sont des reconstructions d’expériences antérieures qui m’ont aidée à donner sens à l’utilisation de l’informatique comme enseignante et comme chercheuse. J’ai l’intention ultérieurement d’effectuer une recherche empirique plus formellement planifiée, et je trouve que réfléchir sur mes propres expériences m’aide à soulever davantage de questions à explorer.

Tout d’abord, je expliquerai plus en détail pourquoi je me concentre sur l’utilisation. Puis j’identifierai quelques-uns des trames ou thèmes que je souhaite suivre dans mes récits de travail de bureau. Ensuite, je passerai aux récits en soulevant certaines questions concernant les pratiques actuelles et les possibilités d’une conception d’"utilisation" impliquant plus de pouvoir ("empowering").

Pourquoi me concentrer sur "l’utilisation" -
Parce ce que ce terme si commun permet d’identifier une grande partie du rapport qu’on les individus à l’ordinateur. C’est un terme simple qui peut signifier de nombreuses choses différentes. L’utilisation est un terme socialement construit, de même que la compétence. Il prend différentes significations relatives aux personnes qui "utilisent", à la situation dans laquelle un artefact est utilisé, et aux relations de pouvoir entre personnes utilisatrices et celles qui interprètent cette l’utilisation.

L’utilisation, lorsqu’il s’agit d’informatique, pourrait signifier - les compétences de base pour se servir d’une application informatique spécifique telle que le courrier électronique, ou bien avoir les compétences pour se servir d’une série d’applications informatiques génériques de base telles que le traitement de textes, les tableurs, les moteurs de recherche et le courrier électronique; dans une situation du travail, ce peut être se servir d’une application spécifiquement conçue pour une tâche professionnelle particulière. Mais est-ce là toute sa signification ? Si vous ne pouvez pas formuler le mot clé approprié, savez-vous utiliser un moteurs de recherche? Si vous ne pouvez pas formuler de questions pour interroger une base de données, utilisez-vous la base de données ou pressez-vous simplement la bonne touche pour récupérer une information pré-formulée?

En se focalisant sur l’"utilisation", on peut avoir un bon angle pour appliquer des perspectives féministes sur les rapports de genre dans les technologies. Stanworth (2000) résume ces perspectives dans une récente présentation intitulée "Gender, Work and Organisation" (Genre, Travail et Organisation). Dans les grandes lignes, elles se révèlent être les femmes à la périphérie, leurs contributions occultées, et les constructions de genre dans les technologies.

Dans la première perspective, les femmes se retrouvent à la périphérie de le culture technologique tandis que les hommes apparaissent comme initiés, les technologies restant un constituant de la culture masculine. Cette explication peut s’appliquer au contexte du travail de bureau où le rapport des employé-e-s aux applications informatiques tend à être placé en dehors du domaine du développement technique des systèmes. Ce point de vue trouve un appui dans une grande partie du travail féministe sur le développement des systèmes à partir des années 1980. Dans ma présentation, cependant, je veux faire valoir qu’être étrangère n’est pas toujours une position totalement dépourvue d’avantages.

Dans la deuxième perspective, les contributions des femmes au développement technologique sont occultées ou sous-évaluées et doivent être remises en valeur. Cette perspective est appropriée en ce sens qu’elle coïncide avec la recherche qui identifie des pratiques de conception ’dissimulées’ ou une conception d’utilisation mise en pratique par les employé-e-s de bureau (Suchman et Jordan 1988; Clement 1991)

La troisième perspective s’inspire de la construction sociale et étudie les interprétations faites d’une technologie plutôt que les propriétés de la technologie elle-même; elle fait valoir que les technologies sont reconstituées par les relations sociales des acteurs impliqués. Cette perspective est appropriée en ce sens qu’elle implique que nous pouvons contester des interprétations admises de relations technologiques et les réinterpréter, afin que ce qui peut être perçu selon un point de vue donné comme une utilisation simple et peu qualifiée des technologies peut être vue, selon une perspective différente, comme utilisation complexe et qualifiée. Les questions clés ici sont de savoir la connaissance de qui peut faire autorité et qui a le pouvoir de faire admettre cette interprétation (Suchman et Jordan 1988). Nous ne devons pas oublier que les acteurs impliqués dans ces nouvelles constructions sont influencées par ce qui s’est passé auparavant. La probabilité de la reproduction plutôt que de la transformation de la division sexuelle du travail est la même.

Il y a d’autres considérations qui enrichissent une analyse sociale constructiviste des rapports de sexe dans les technologies. Hill Collins (1999:270) et autres auteures plaident contre la focalisation exclusive sur le genre, et notent qu’il existe un ’entrelacement constant’ de différents rapports sociaux, tels que race/ethnicité/classe/sexualité, et que donc nous devons aussi nous préoccuper de ces rapports afin de comprendre le genre. J’essaie de sonder ces rapports en utilisant le concept du point de vue conçu par Hill Collins (1991) dans son travail sur la réflexion féministe noire et par Haraway (1991) dans son examen des connaissances situées. Le point de vue, dans ma présentation, suppose que les femmes ont une expérience commune d’assujettissement, mais que chacune apporte sa propre part d’identité, connaissances, attentes et expériences aux situations ou aux positions spécifiques (22). Haraway (1991) a fait valoir que nous devons avoir un rapport critique et réfléchi concernant les pratiques de domination, tant les nôtres que d’autres, et que nous devons prendre en considération les déséquilibres de pouvoir qui composent toutes les positions (191-193). Je peux dire que les identités partielles couvertes par mon point de vue sont entre autres classe ouvrière, bourgeoise, Italo-américain, blanche, lesbienne, et sans handicap, et que ces identités s’entrelacent et se décalent selon la situation, c’est-à-dire que le point de vue n’est pas une position fixe enracinée dans une identité spécifique, mais une vue partielle dans un situation spécifique.

Ces perspectives féministes peuvent faciliter le développement d’une explication plus fine des rapports de genre dans les technologies plutôt que de rester concentrer sur la qualité de capacitante ou oppressante des technologies. En considérant nos rapports avec les technologies comme intersections de différents rapports sociaux, nous pouvons mieux comprendre la complexité des positions des femmes; que ce qu’une femme voit comme chance professionnelle peut être le plafond de verre pour une autre. Le point de vue prend en considération les différentes valeurs et interprétations que nous attachons au travail à différents moments, les différentes motivations, les besoins financiers, et les perspectives qu’occupe la place du travail dans nos vies.

Situation de l’analyse

La première trame que je veux identifier dans mon analyse est celle de la division conception/utilisation. Aujourd’hui, le seul lieu d’utilisation de l’ ordinateur n’est peut être pas dans le travail professionnel. Cette utilisation peut être de travailler sur un ordinateur en réseau pour concevoir un site Web communautaire, élaborer une identité en ligne ou créer de l’art. Le séparation entre les termes de concepteur-trice et d’utilisateur-trice n’est plus aussi net dans ces contextes. Je souhaite néanmoins me concentrer sur une situation où cette séparation persiste, dans les bureaux. La plupart des textes standards sur la conception de systèmes informatisés considèrent comme allant de soi que les utilisateurs dans les bureaux sont les destinataires des technologies, que le développement des applications des technologies d’information est une activité technique, et que les utilisateurs ont un rapport avec un objet dont la réalisation est complète. Leur ’utilisation ’de l’artefact technologique doit permettre d’accomplir ce qu’il a été conçu pour faire. Cette interprétation de "l’utilisation" correspond bien à la définition du dictionnaire de la langue anglaise "Oxford Concise" - déployer comme moyen d’accomplir ou de réaliser quelque chose. La connaissance et les compétences exigées ’pour déployer ’peuvent être interprétées de plusieurs manières, par exemple savoir quelle clé presser ou sur quelle icône cliquer. Dans nos emplois, beaucoup d’entre nous ont eu l’expérience d’une formation pour de nouvelles applications qui se concentrent sur ce type de connaissance.

Certaines recherches sur le développement des systèmes contestent cette acceptation type d’une division technique utilisateur-expert. La recherche féministe de la fin des années 1980 aux Etats-Unis et en Europe a critiqué l’approche "fractionnée" du développement de systèmes. Elle a analysé ce type d’approche en termes de sexage des technologies, les femmes étant construites comme utilisatrices passives de l’informatique , et les hommes identifiés comme faisant le travail technique de création et de conception des systèmes à utiliser. Les femmes étaient "en dehors de", ou "invisibles", comme certaines recherches l’affirment, dans la culture sexuée de la production technologique. Par exemple, Bodker et Greenbaum (1993) se sont concentrées sur la façon dont on ignorait les connaissances partagées des travailleurs-ses dans les pratiques de conception technologique traitées de façon abstraites et décontextualisées. Tandis que l’utilisation peut être vue simplement comme le fait de savoir manœuvrer une machine et/ou avoir été formé-e à le faire, une partie de la recherche sur le développement de systèmes à partir des années 1980 et du début des années 1990 a révélé que, dans de nombreux cas, ce qu’on considérait comme simple utilisation de la technologie était en fait un travail de conception "caché" (Clemente,1991). Si l’on examinait les artefacts technologiques dans le contexte plus large d’un système de travail, plutôt que simplement comme système informatique, il devenait évident qu’ils devaient être intégrés dans les pratiques locales de travail. Ce qui a été également identifié est que certaines tâches professionnelles sont contingentes; elles ne peuvent pas être prévues et être définies comme procédures fixes, bien que la plupart des systèmes aient été développés implicitement avec un ensemble clairement défini de besoins et de manières rationnelles de travailler. Ces systèmes rationnels ne prennent pas en considération les contingences professionnelles quotidiennes, telles qu’une question posée exigeant une demande de recherche spécifiquement conçue à la base de données, que le concepteur n’aurait pas pensé à inclure.

Mon examen du terme ’utilisation’ traverse donc une zone entre la conception et l’utilisation comme sphères d’activité au travail. Mon information vient, d’une part, des perceptions classiques de l’utilisateur comme bénéficiaire de la technologie ayant besoin d’être formé à son utilisation et, d’autre part, de la considération que le développement des systèmes informatisés constituent en partie les pratiques professionnelles des travailleurs en situation.

Ces différentes perspectives démontrent pourquoi il est important de problématiser le terme ’utilisation’. Si un cadre peut estimer que, dans le contexte du travail de bureau, "utiliser" signifie savoir comment se servir d’un progiciel d’application et se familiariser avec toutes ses configurations, pour la travailleuse elle-même, ce terme peut signifier l’imposition d’une technologie en inadéquation avec les pratiques existantes de travail. L’obligation retombe alors sur la travailleuse de rendre ce logiciel utilisable et utile. Les chercheurs ont une série de termes pour faire référence à cette activité, encastrer (embedding), une technologie, l’ajuster, l’adapter, la personnaliser, l’intégrer aux pratiques existantes de travail (par exemple McL et autres 1999 ; Teege 2000. Ce qui me conduit à une autre question, celle de savoir qu’est-ce qui constitue un environnement favorable dans lequel insérer une technologie ?

Une autre trame à la base de mon analyse est l’organisation du travail. Les relations entre l’introduction de nouvelles technologies et la restructuration des pratiques de travail sont étroites. La recherche sur les premiers bureaux a démontré comment les deux coïncident. Dans une étude sur le travail de bureau en Angleterre entre 1850 et 1914, Meta Zimmeck (1986) analyse comment la limite entre le travail des femmes et des hommes dans les bureaux a été établie et le rôle clé que les technologies bureautiques ont joué dans la construction de nouveaux emplois pour les femmes. Au milieu du 19ème, le travail de commis était réservé aux hommes; il a été construit comme exigeant un niveau élevé de compétences et vu en termes de partenariat avec le propriétaire de l’entreprise. A la fin du 19ème, néanmoins, il avait été transformé par une répartition des tâches en deux sphères nettes d’activité. Dans le travail de bureau, un trait a été tiré entre ce qui relevait de l’ordre de l’activité intellectuelle des hommes et celui de l’activité mécanique des femmes (158). L’introduction de la machine à écrire a sous-tendu cette transformation de sorte qu’à la fin du 19ème, on a constaté l’entrée des femmes, principalement venant des classes moyennes, dans les postes qui étaient de nouvelles formes de ce qui était précédemment un domaine masculin.

Si nous avançons d’une centaine d’années, des études de centres d’appel (par exemple Belt, Richardson et Webster 2000) ont identifié une autre réorganisation significative de travail venant de nouvelles technologies. Cette fois, c’est une délocation de travail précédemment exécuté localement en face-à-face, par exemple dans une banque de quartier. Il a été réorganisé pour réintégrer des emplois précédemment discrets par l’utilisation de réseaux et de logiciels complexes. Le travail s’effectue dans des installations de type usine où les travailleurs-ses utilisent des ordinateurs pour fournir une gamme de services financiers aux clients éloignés.

Des études montrent que là où une restructuration du travail coïncide avec la mise en oeuvre d’une nouvelle technologie comme par exemple avec le logiciel de centre d’appel, il semble y avoir peu de marge de manoeuvre (Belt et al. 2000 ; Poynter et de Miranda 2000), mais il y a des possibilités dans les situations où la réorganisation et de nouvelles technologies ne sont pas si étroitement liées aux limites de concours/défi entre la conception et l’utilisation.

Le contexte de mon interrogation - Le travail bureau

Je m’intéresse aux lieux dans lesquels la technologie est un constituant du travail de bureau. Le secteur professionnel, "emploi de bureau et secrétariat" est encore un groupe important en Grande-Bretagne. Selon l’analyse, faite par la Commission pour l’Egalité des Chances, de l’enquête sur les forces de travail du printemps 2000, 14,6% des employé-e-s et travailleurs-ses indépendant-e-s [de plus de 16 ans] sont classé-e-s sous "emplois de bureau et de secrétariat" et les femmes représentent encore la majorité de la main-d’oeuvre. Soixante-quatorze pour cent des employé-e-s de bureau et de secrétariat sont des femmes et 26%des hommes. Mais l’utilisation de l’ordinateur n’est pas limitée à ce secteur. Selon Stanworth (2000) les femmes font une large utilisation de l’informatique, au moins autant ou plus que les hommes. Les ordinateurs, particulièrement sous forme de systèmes d’information à grande échelle, sont utilisés dans les emplois administratifs de haut niveau et dans les professions libérales. Différents groupes professionnels travaillent avec ces systèmes, tels que les assistant-e-s sociaux, un secteur où, encore une fois, le nombre de femmes dépasse celui des hommes (EOC 2000). Un-e assistante social-e peut utiliser un système de base de données pour archiver et consulter les fiches des clients, produire des demandes de services, et rechercher des informations sur les ressources disponibles. Comme enseignante à l’université, j’utilise l’informatique de différentes manières, pour développer du matériel pédagogique; pour trouver les informations administratives dont j’ai besoin pour enseigner; et pour la recherche, j’utilise une série de moteurs de recherche et de services d’information universitaires. Dans une étude récente du travail de bureau dans l’industrie manufacturière néerlandaise pendant les années 1990, Tijdens (1999) a noté que la majorité des employées de bureau utilisaient un ordinateur et une série de systèmes d’application, tels que la gestion de salaires, de stock et des achats. Elle a également noté que seulement une employée sur trois étaient impliqué dans la prise de décision concernant l’achat du matériel informatique et des applications, le taux le plus élevé de participation se situait parmi les superviseurs (54). L’acquisition de ces systèmes et les stratégies pour la mise en oeuvre sont négociées au niveau des cadres, et les groupes d’utilisateurs reçoivent ces systèmes comme technologies fermées supposées fournir les informations requises par l’institution. Les employé-e-s de bureau devraient inclure ces systèmes dans leurs pratiques de travail et, comme la définition de "l’utilisation" le dit, réaliser ou accomplir leur travail.

Dans ma vie quotidienne, j’entends parler de "utilisation" d’ordinateurs pour des travaux de bureau par des ami-e-s et collègues que j’interprète comme étant sans arrêt à la limite de la conception et de l’utilisation. Leurs expériences concernent le remodelage des systèmes de travail pour intégrer des applications informatiques inadéquates ou inappropriées. Ces récits portent sur les difficultés rencontrées pour éviter une application et/ou pour restructurer le travail pour compléter ce qu’a été mis en oeuvre; ils se sentent privés de pouvoir et/ou pleins de frustration dans leur utilisation de ces systèmes. Cette question d’utilisation concerne aussi celle des relations de pouvoir dans le travail de bureau. Nous pouvons être motivé-e-s et avoir les connaissances nécessaires pour remodeler la technologie, mais nous avons aussi besoin de l’autorité. Je partage ces sentiments, et j’ai donc décidé de commencer par les récits inspirés de ma propre expérience comme "utilisatrice".

Les récits

Ils coïncident avec trois périodes significatives dans le récit du développement des systèmes informatisés et de la transformation des pratiques professionnelles - l’introduction de systèmes de bureautique au début des années 70; celle du PC au début des années 1980; et l’utilisation très répandue de logiciels spécifiques d’application dans les années 1990. Ils fournissent des instantanés des pratiques d’utilisation en situation, et j’espère qu’ils permettront de soulever certaines questions sur "l’utilisation" de l’informatique et les relations de pouvoir au travail. Ils sont exemplaires de quelques-unes des difficultés persistantes que j’ai éprouvées et dont j’ai été témoin concernant la bureautique. Mais ils démontrent également comment le bureau peut être un lieu de transformation des rapports de genre-technologie.

Je m’inspire de l’analyse historique de Friedman et Cornford (1989) pour présenter mes récits. Ils ont mené des recherches sur le développement de systèmes informatiques commerciaux au Royaume Uni et aux États-Unis à partir des années 1950 jusque dans les années 1980. Ils prennent en considération différents aspects qui contribuent au développement tel que les utilisations faites de la technologie, les technologies disponibles à cette époque et les groupes d’utilisateurs impliqués. Ils étudient le développement de systèmes comme activité de médiation entre les concepteurs techniques et les groupes d’utilisateurs, et donc reconnaissent implicitement un clivage. Je m’inspire donc de ces aspects dans mes récits sur l’utilisation . J’essaye également de tenir compte de l’entrecroisement des rapports sociaux et de pouvoir dans les situations de travail. J’essaye de m’appuyer sur les rapports de sexe, de classe et d’appartenance ethnique pour expliquer comment "l’utilisation" et la contestation des limites peuvent varier considérablement non seulement en raison de l’organisation du travail, des fonctions et des devoirs, mais aussi en raison des différentes identités sociales et des subjectivités individuelles. Que les concepteurs prévoient une certaine manière d’utiliser un outil technologique ne signifie pas qu’il sera utiliser ce cette manière. La construction sociale nous apprend que différents groupes d’acteurs dans un lieu donné et un autre négocient différentes positions, construisent différentes technologies, et donc que leur interprétation et leur ’utilisation’ des technologies peuvent différer de celles prévues par les cadres et les responsables du développement technique.

Premier récit

Mon premier récit date du début des années 70, dans la ville de New York, quand les ordinateurs avec applications de bureautique commençaient à être introduits dans les grandes entreprises. Je travaillais dans une grande maison d’édition universitaire comme secrétaire d’un directeur de projets. Mon patron était l’une des rares femmes n’occupant pas de position de secrétariat dans cette entreprise. Nous travaillions dans le service des publications, et sa position était unique. Elle s’occupait du développement d’un produit multimédia scolaire pour les études d’infirmières. Multimédia, à cette époque, signifiait film, bandes audio et texte imprimé. Les autres directeurs de publication s’occupaient de manuels universitaires pour les études de sciences. Ils étaient tous des hommes et leurs secrétaires des femmes. Quand j’examine ces positions aujourd’hui, l’organisation de genre dans chaque domaine est évident - hommes / sciences ; femmes / soins.

Un système de bureautique fut introduit dans notre service. A cette occasion, le travail des secrétaires allait être réorganisé, par exemple des lettres pro-format remplaceraient une grande partie de la dictée face-à-face et/ou la négociation de lettres entre les directeurs et les secrétaires. La direction exercerait plus de contrôle sur l’emploi du temps et les mouvements des secrétaires, le plus clairement sous forme d’un déjeuner à tour de rôle. Signe précurseur du logiciel de centre d’appel, le système de bureautique pouvait être configuré pour permettre à tous les appels pour les directeurs d’être envoyés vers le bureau d’une seule secrétaire. Le plan était de prendre le déjeuner à tour de rôle et de permettre qu’une secrétaire réponde à tous les appels reçus et prenne des messages pendant le repas des directeurs. Il n’y avait eu aucune consultation des secrétaires sur la sélection ou l’introduction de cette technologie, ni sur la réorganisation du travail.

Je n’avais pas eu les mêmes responsabilités et les tâches que les secrétaires des autres directeurs, car mon patron faisait des choses différentes. À la réflexion, certaines de ces différences pouvaient probablement s’expliquer par le genre, par exemple tous les directeurs faisaient prendre leurs appels téléphoniques par leurs secrétaires, tandis que mon patron répondait à son téléphone. Dans la nouvelle spécification des tâches des secrétaires, les changements prévus pour mon travail étaient moins spectaculaires. Comme j’étais physiquement dans le même lieu que les autres secrétaires, le directeur du département a estimé qu’il était logique que je participe au réseau qui répondrait au téléphone.

J’ai refusé. La restructuration avait soulevé la colère des autres secrétaires, mais personne ne voulait s’associer à moi pour la contester. Je me rappelle que deux types d’explications m’ont été donné par les autres femmes. Les deux raisons sont liées à une possible perte de leurs emplois, bien qu’il y avait beaucoup d’emplois de secrétariat dans les maisons d’édition, comme je le savais par expérience puisque j’ai changé d’emploi au moins une fois par an, et chacune de nous était dans une situation privilégiée en tant que femmes blanches dans le monde de l’édition avant tout blanc. Le premier type d’explication était d’économiser de l’argent pour un mariage, le leur ou pour certaines, celui de leur enfant; le deuxième concernait leur préoccupation de préserver de ’bons’ rapports avec leurs patron/directeur [des hommes].

Pourquoi ce récit est-il significatif ? Je pense qu’il y avait là une occasion de transformer des rapports de genre-technologie, plutôt qu’acquiescer ou rejeter. Quand je l’examine sous mon angle de vue actuel, je peux penser à un certain nombre de solutions alternatives mais toutes impliquent que les secrétaires remettent en cause la limite genrée de l’organisation du travail et de la conception technologique. Les secrétaires recevaient la technologie construite pour une utilisation par tâche et routinière, et ne contestaient pas la reconstruction d’une limite entre le travail intelligent et mécanique. Toutefois, j’ai contesté la nouvelle limite et je vais essayer maintenant d’arriver à comprendre pourquoi. Ma situation était privilégiée en ce sens que ma patronne me traitait plus comme collègue que secrétaire, et j’avais davantage d’autonomie que les autres secrétaires. Elle ne me soutenait pas, néanmoins, dans mon refus de faire partie du réseau téléphonique, et j’ai dû rencontrer le directeur du service pour défendre ma décision. Il m’a informé, de même que ma supérieure, que ma décision avait affecté mes perspectives de carrière au sein de l’entreprise.

En réfléchissant sur mon point de vue de l’époque, je pense que ma situation était différente en raison d’un mélange de rapports de classe et de sexe. Mon père, comme ouvrier d’usine, ne pouvait pas prendre d’appels téléphoniques au travail sauf en cas d’urgence graves. Ses conditions de travail ont influencé mes attitudes à l’égard de mes emplois d’intellectuelle. Le contrôle de mon heure de table/de temps libre était très important pour moi; il était un signifiant de l’amélioration de mes conditions de travail. J’ai interprété la nouvelle technologie comme une reconstruction de certains aspects des conditions de travail en usine. Mon absence de préoccupation au sujet des perspectives de carrière venait aussi d’un point de vue de classe ouvrière; ma conception du travail était d’y voir une autonomie financière, et non de faire carrière et de trouver une identité liée au travail. Les rapports de genre sont l’autre part que je peux identifier dans ce mélange. Les préoccupations des secrétaires qui voulaient économiser de l’argent pour un mariage, et les relations sociales hétérosexuelles de patron-homme/secrétaire-femme n’entraient pas dans la constitution de mes rapports sociaux avec ma supérieure. Des rapports de genres, originaires de l’hétérosexualité, associés à une subjectivité de classe ouvrière étaient probablement quelques-uns des constituants de mes rapports d’utilisation des technologies.

Le récit suivant

Il se situe au début des années 1980, à la période identifiée par Friedman et Cornford comme celle des problèmes dans les relations des acteurs développement-utilisation. Les utilisateurs avaient amélioré leur connaissance des ordinateurs et s’étaient familiarisés avec ce qu’ils pouvaient faire; ils multipliaient donc leurs demandes d’applications, et les systèmes en résultant les mécontentaient de plus en plus. C’était aussi un moment où arrivaient sur le marché de la bureautique des technologies moins chères, plus flexibles et plus accessibles, le PC en étant la clé. Les départements informatiques ont reconnu qu’il fallait améliorer leurs relations avec les utilisateurs, et les services utilisateurs ont reconnu qu’ils pourraient développer leurs propres applications sur PC.

Dans cetdeuxième ensemble de récits, je travaillais comme programmeur- analyste en chef dans les bureaux de Londres d’une société multinationale. Je peux identifier deux expériences significatives quand à ma recherche sur l’utilisation. L’un est un cas de l’utilisateur final d’informatique, l’autre, la participation de l’utilisateur au développement. Le premier récit se passe dans le bureau même à Londres. Dans ce bureau, tous les développeurs de systèmes travaillaient dans le service informatique sur de gros systèmes. Je travaillais étroitement avec les services financiers utilisateurs, et ce faisant, je m’étais liée d’amitié avec l’une des femmes comptables. C’était elle qui m’a introduite aux PC. Avec une collègue, elles avaient développé un système de rapport financier utilisant un PC et l’un des nouveaux logiciels de tableur. Ces deux employées avaient mené campagne auprès de leur patron pour obtenir de l’informatique et l’avaient persuadé d’acheter un PC et le logiciel pour développer leurs idées.

Ces employées de bureau avaient transgressé un certain nombre de limites. Leur ’utilisation’ des ordinateurs a transgressé la limite structurée de la société entre l’informatique et les autres fonctions de l’entreprise, et elle remettait en cause les limites entre les sexes concernant les ordinateurs, puisque la majorité écrasante des développeurs informatiques était des hommes. Ces femmes avaient déjà transgressé des limites de sexe par leur présence dans le service de comptabilité où la majorité des travailleurs était encore des hommes. La principale technologie utilisée par les employés comptables était une grande machine à calculer de laquelle sortait de longues bandes de papier. L’utilisation du tableur faite par les deux femmes impliquait des compétences importantes, un savoir-faire et une information concernant leurs pratiques de travail in situ. Leur patron a reconnu qu’elles avaient apporté une contribution importante au développement des systèmes, mais je me rappelle qu’elles ont eu du mal à négocier de nouvelles fonctions et des augmentations de salaire. Je peux identifier ici dans le croisement des rapports sociaux, le genre et l’appartenance ethnique. J’ai déjà dit que toutes les deux étaient des femmes. À ce stade, je ne me rappelle plus l’origine ethnique de toutes les personnes dans le service de comptabilité, mais celle des experts locaux est significative. L’une était une femme d’origine afro-antillaise; c’était une personne noire dans ce qui était un service essentiellement blanc; Sa collègue était une Irlandaise blanche, et dans le monde des affaires britannique, leurs identités ethniques leur donnaient une position de "personne extérieure". Ceci soulève la question de la représentation "extérieure", comme c’était le cas dans mon premier récit concernant la classe - pouvons-nous généraliser le fait qu’une position "d’étranger" est toujours un désavantage ? Les personnes qui ont des points de vue différents perçoivent les situations de différentes façons ; pourraient-elles reconnaître les occasions de remettre en cause des limites là où d’autres voient des exclusions ?

L’autre récit de cette époque concerne la participation de l’utilisateur dans le développement de systèmes. J’étais responsable du développement d’un système de compte-rendu mensuel pour le service de comptabilité. Les utilisateurs du bureau de Londres étaient enthousiastes pour intégrer l’utilisation des ordinateurs dans leurs pratiques quotidiennes de travail. Au lieu d’utiliser des machines à calculer et travailler avec les bandes de papier, ils voulaient introduire directement leurs données dans un fichier informatique. Les utilisateurs ont été directement impliqués dans les décisions sur le développement et l’utilisation du système. D’autres bureaux européens devaient aussi utiliser ce système, mais c’est la direction, et non le groupe d’utilisateurs, qui est venu au bureau de Londres pour les consultations.

Quand je suis allée dans un des bureaux européens pour mettre en oeuvre le système, j’ai découvert avec surprise que "l’utilisation" avait été construite différemment. Dans ce bureau, j’ai rencontré un nouveau groupe d’utilisateurs, des employés de bureau peu qualifiés, qui faisaient de la saisie de données et avaient la responsabilité du fonctionnement local de l’ordinateur. Ils n’avaient pas été impliqués dans la prise de décision concernant ce système, et ils n’avaient reçu aucune formation sur les ordinateurs et leur opération. Cette réorganisation du travail fournit un exemple clair de la construction sociale d’utilisation. Dans un bureau, l’"utilisation" implique la participation au développement et à l’intégration d’une application dans les pratiques de travail des employé-e-s comptables; dans l’autre l’"utilisation" exigé à la fois plus et moins de compétences et de connaissance. Moins en ce sens que la technologie a été utilisée pour la saisie de données monotone et répétitive et plus en assumant la difficulté et le défi de la responsabilité d’un système informatique. Le travail d’utilisation de cette application, l’entretien des fichiers basés sur disque, le formatage des disques, le backup des données, la mise à jour des programmes, l’initialisation et la fermeture du système, l’établissement d’un lien de communication pour permettre l’entrée à distance des fichiers de données spécifiques, etc., ont été construits comme travail de routine et peu qualifié.

L’utilisation a signifié des choses extrêmement différentes dans ces lieux. D’une part, elle a comporté la conception et le développement basé sur le travail d’un nouveau système ; dans cet établissement, la majorité du groupe d’utilisateurs était composée d’hommes qui ont soutenu l’utilisation. Dans l’autre, elle a signifié la saisie quotidienne de données et l’entretien local d’un système imposé; ici, les travailleurs étaient des femmes et le système avait été imposé par une direction masculine.

Mon troisième récit

C’est une représentation de ma situation actuelle. Elle concerne l’incorporation d’une technologie dans la vie professionnelle quotidienne par deux groupes d’utilisateurs, le personnel administratif/de secrétariat et les enseignants. Cette situation exige encore un certain historique. L’étude de Friedman et de Cornford va jusqu’à la fin des années 80 lors de la généralisation de l’externalisation de nombreux services informatiques. C’était également une époque où se généralise l’utilisation des logiciels commerciaux de traitement de texte, tableur et comptabilité. Les applications de base de données, néanmoins, conservent une position différente. S’il y a bien dans le commerce des logiciels de base de données, le développement des systèmes de base de données à grande échelle est un secteur spécialisé exigeant un aperçu des besoins d’information à une plus grande échelle. Les conceptions se basent sur des concepts théoriques concernant la construction des structures abstraites pour stocker les données et la connaissance des langues telles que SQL pour composer les questions d’accès aux données.

À la différence des systèmes décrits dans mes deuxièmes récits, un grand nombre de ces systèmes ont été développés en dehors de l’organisation et sont destinés à rencontrer un ensemble d’activités professionnelles qui sont en dehors des pratiques de travail des personnes en situation, et qui représentent un ensemble de besoins génériques pour les organisations dans un secteur spécifique. Le point de perspective du travail est éloigné et dépend d’une vue rationnelle ou basée sur des règles des besoins de données plutôt que la richesse des pratiques de l’utilisation (Brown 2001). L’intérêt pour ces systèmes logiciel et leur achat s’appuie sur le fait que la direction locale estime que la nouvelle application améliorera le rendement et sera plus efficace que le système existant (McL et autres 1999). L’application doit fournir ce qui est nécessaire pour faire le travail, et ce qui est exigé n’a pas été défini par les travailleurs locaux qui sont bien placés pour savoir. Comme dans mon récit de bureautique, l’utilisation de la technologie est perçue comme facteur de routine. Surtout, elle laisse aux travailleurs [dont les pratiques de travail ne sont pas routinières] la tâche d’inclure le système dans leurs pratiques locales de travail (McL et autres 1999). Cela ne veut pas dire que ces technologies sont des systèmes fixes; dans la plupart des cas elles peuvent être adaptées ou être changées pour mieux répondre aux besoins locaux. La question est de savoir si l’environnement favorise la personnalisation locale, et qui a le pouvoir de concevoir, d’adapter.

L’une des applications généralement disponibles est un système d’administration universitaire. Différentes études ont été publiées sur la l’introduction et l’utilisation de ces systèmes. Des articles ont été publiés à partir des années 1980 et au début des années 1990 sur le développement des systèmes universitaires, qui examinent la rencontre des employées de bureau et des programmeurs dans le développement de ces systèmes (Mill 1986; Ramsay et autres 1997). Mon récit représente toutefois une situation très différente. Mon université a acheté un nouveau système de base de données il y a quelques années. Une équipe de travailleurs techniques des départements informatiques était responsable de sa mise en oeuvre. Le processus de consultation se produisait du haut vers le bas, avec très peu de commentaires des groupes d’utilisateurs. Il a été supposé que le nouveau système satisferait nos besoins, mais comme Suchman (2002) le remarque, plus la distance est grande entre les lieux de production de technologie et ceux de son utilisation, plus on risque d’avoir à adapter ces technologies (139).

Depuis son installation, le système a été une source continuelle de problèmes à la fois pour le personnel administratif et enseignant. Les employés de bureau ont reçu une formation au fonctionnement du système, et dans mes discussions avec eux à ce propos, ils ont signalé que la formation a soulevé davantage de questions qu’elle n’en a résolues, et que les formateurs ne possédaient pas une compréhension appropriée des exigences du travail ou des situations dans lesquels des informations pourraient être demandées d’eux par les enseignants ou les étudiants. La formation s’est concentrée sur un ensemble de d’écrans de rapports et de saisie de données à la disposition de ces employé-e-s, mais ces derniers les ont jugés insuffisants, et ont demandé des changements. Comme utilisatrice enseignante intéressée, j’ai assisté à une des réunions prévues pour examiner les problèmes et pour proposer des changements au système avec le directeur de l’équipe d’installation. Les changements portaient sur une large série de problèmes, d’une simple erreur de date par défaut à des problèmes plus complexes qui exigeaient des employés de bureau de rentrer et sortir d’une procédure d’encodge afin d’introduire des données pour chaque étudiant. Comme enseignante, j’ai aussi identifié des problèmes et j’ai demandé des changements pour obtenir les informations qui étaient disponibles avec le système précédent mais plus maintenant. En tant que quelqu’un qui connaît la conception des base de données, je sais que ces problèmes pourraient être probablement être résolus en composant de nouvelles questions et formulaires. Néanmoins, comme utilisateurs, nous ne pouvons pas créer de questions ; c’est un système construit en système fermé.

L’utilisation de cette base de données a été constituée comme mécanique et orientée vers les rapports courants exigés par les groupes spécifiques. Un grand nombre de besoins du personnel administratif ou enseignant ne sont pas pris en considération, ni les imprévus des relations de travail quotidien et la nécessité de disposer de questions ad hoc. Le personnel administratif ne peut pas adapter le système, et se voit obliger de le contourner, tout comme le personnel enseignant. Lorsque que les systèmes de base de données pourraient servir de manière efficace de moyen de stockage et fournir beaucoup d’informations au sein du département, telles que des emplois du temps, le personnel administratif n’a pas les connaissances pour concevoir une base de données ni le temps des acquérir, puisqu’ils tentent de se débrouiller avec le système existant.

Ce récit m’amène à une question clé : sommes-nous de retour aux situations dans lesquelles, une fois encore, comme avec les premiers systèmes de bureautique, l’"utilisation" est construite comme "mécanique", où l’identification des besoins se fait de haut en bas et où l’on fait une utilisation manifeste de la technologie pour introduire de nouveaux modèles du travail ? Est-ce que le rapport genre-technologie-utilisation dans le travail de bureau est redevenu fortement démarqué ou y a-t-il place pour permettre aux utilisateurs-trices d’identifier leurs besoins comme c’était parfois le cas dans les exemples des années 1980 que j’ai cités. Je ne pense pas que l’on puisse faire un parallèle avec la situation des premiers systèmes de bureautique. Le système informatique de mon récit ne coïncide pas avec la réorganisation directe du travail; il est supposé être un outil de support qui peut aider à constituer une réorganisation du travail, mais nous sommes engagés activement dans cette construction en faisant par exemple les lettres aux étudiants par le traitement de texte, lettres qui sont préparées préalablement par le personnel administratif.

La déconstruction d’une "utilisation" locale peut permettre d’identifier des options et des possibilités de transformation des rapports technologies-utilisation, mais elle doit prendre en considération la spécificité de l’organisation et les relations de pouvoir entre les différents acteurs qui sont les éléments de l flexibilité possible dans l’utilisation d’une application (Brown 2002:310). Je pense que les déconstructions du terme "utilisation" dans les situations spécifiques peut fournir des preuves permettant de contester les stéréotypes attachés à l’implication des employé-e-s de bureau, nous aider à mieux comprendre les situations d’externalité, à identifier quels aspects des pratiques devraient être reconnus dans l’organisation du travail, et à fournir le matériau de base dans le développement des arguments permettant de déplacer la limite actuelle entre les activités catégorisées comme conception ou développement et celles qui le sont comme "utilisation".

Je termine avec quelques-unes des alternatives que j’ai identifiées. L’une est d’affirmer l’identité de l’utilisateur-trice discrétionnaire, et de refuser de travailler avec des outils qui ne sont pas utiles; une autre est de réclamer la possibilité de changer la conception; d’autres encore sont de reconnaître le surcroît de travail exigé pour mettre en oeuvre une application en établissant une nouvelle description de fonction et échelle salariale; d’exiger des systèmes d’applications ouverts et une formation pour adapter les systèmes qui sont actuellement non-adaptables. Ces alternatives construisent dans l’"utilisation" même le renforcement du pouvoir, d’une manière qui nous permet de ne pas être des bénéficiaires d’un système mais plutôt de participer de façon critique à son développement. Mais il n’est pas facile de présenter ces demandes et ces revendications. C’est là où le croisement de nos différents rapports et points de vue en tant qu’employé-e-s de bureau pourrait nous donner un avantage. Dans le cadre de l’utilisation de bureau, nous ne faisons pas de développement technique de logiciel et nous n’achetons pas les applications; nous sommes construits comme "étrangers". En fait, nous sommes dans la position avantageuse d’être des initiés, proches du travail et donc capable d’identifier les points faibles de l’application. Elle peut être la position la plus appropriée pour remettre en cause les limites de la conception-utilisation. Evidemment, je fais ici une hypothèse. Il faudrait réaliser des études empiriques détaillées sur les rapports technologie-utilisation dans les bureaux in-situ pour explorer comment se constituent les activités de conception et d’utilisation, examiner les différentes possibilités de contester la division entre conception et utilisation, lorsqu’elle existe, et comment les différentes situations et points de vue interviennent pour ouvrir des possibilités ou imposer des contraintes dans nos différentes utilisations des technologies.

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