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Sollfrank, Cornelia

Comment devenir cyberféministe ? Instructions de base

Traduction : Marie-Françoise Stewart-Ebel

On-line version: http://digitales.constantvzw.org/texts/

«En tant qu’initiatrice de ‘Old Boys Network’, le réseau de la première alliance cyberféministe – et l’auteure de quelques documents et œuvres d’art bien connus sur le cyberféminisme, je reçois souvent des demandes de ‘newbies cyberfem’ enthousiastes me posant (en fait) cette question : “comment puis je apprendre à être cyberféministe?”.
Assez curieusement, aucun FAQ ou documents sur la Toile ne semble aborder cette question essentielle, donc voici ma version. »

Le désir de définir

Certaines questions cruciales accompagnent la question de savoir ‘comment’. Tout d’abord, nous devons nous demander "Qu’est-ce qu’est le cyberféminisme?" avant que nous ne puissions découvrir "qu’est-ce qu’une cyberféministe" et enfin, et surtout, "POURQUOI quelqu’un devrait vouloir devenir cyberféministe?" Tout cela va ensemble, et j’essayerai de me frayer un chemin dans cette jungle afin de vous faciliter l’accès aux mondes sauvages et inexplorés du cyberféminisme.

J’ai déjà donné une conférence intitulée "La vérité sur Cyberféminisme" ici à Bruxelles il y a environ deux ans et demi à l’occasion du festival ‘Jonctions’. Lors cette conférence, dont le texte est toujours disponible sur le site de ‘Constant’, j’ai expliqué comment et quand ce terme a été inventé, ainsi que son utilisation avant 1997. 1997 fut une année cruciale pour le cyberféminisme, car c’est l’année de création du réseau ‘OBN’ - Old Boys Network. OBN est la première alliance cyberféministe, qui décide par ailleurs d’affranchir ce terme de sa signification originale et développe une nouvelle stratégie afin d’améliorer l’utilisation de son potentiel. Je ne répéterai pas toute l’histoire que j’ai exposée il y a deux ans, mais je vais me concentrer sur la compréhension actuelle que j’ai du cyberféminisme.

La première chose qu’a introduite ‘OBN’ était le refus de la définition générale du cyberféminisme. L’antithèse 100 a été formulée au cours du First Cyberfeminist International à la Documenta 9 à Kassel. Bien que cet acte ait été supposé révéler l’approche anti-idéologique d’ OBN, à partir de ce point, beaucoup ont commencé à se méprendre sur le cyberféminisme, en faire tout et n’importe quoi. Ou, ces personnes ont pensé que le cyberféminisme n’avait pas d’existence réelle, et donc devait être un concept artistique pur. D’autres se sont enquis des objectifs politiques du cyberféminisme, et puisqu’ils n’avaient pas été clairement formulés, nous avons entendu l’accusation que le cyberféminisme n’était pas politique de la manière dont le féminisme l’était.

En attendant, je pense que ne pas définir le terme était fondamentalement une bonne décision, mais ce n’est pas assez, particulièrement parce que le cyberféminisme est en fait beaucoup plus qu’une position de refus. J’aimerais franchir une prochaine étape, et présenter quelques définitions choisies, mais des définitions qui permettent encore au cyberféminisme de rester un concept ouvert et non-idéologique.

Définitions

 Le cyberféminisme est une construction. Le terme fonctionne comme moment d’unification pour créer l’idée d’une identité politique sans s’y efforcer
Cornelia Sollfrank.

 Le cyberféminisme est le point d’entrée au problème réel
Joseph Beuys.
[ “Pour moi il était seulement important d’accrocher au mur un terme; quelqu’il soit ; il suffisait que les personnes trouvent ce terme intéressant. Ensuite ce terme pouvait fonctionner comme point d’entrée au problème réel.”]

 Le cyberféminisme est un moteur de recherche qui affiche le monde
Alla Mitrofanova.

 Le cyberféminisme est un mythe
Yvonne Volkart.

Surtout, l’idée de cyberféminisme comme mythe jouit d’un énorme potentiel. Citons Yvonne Volkart: “Un mythe est une histoire d’origine non identifiable ou de différentes origines. Un mythe est basé sur une histoire centrale qui ne cesse d’être racontée avec nombre variations. Cette caractéristique lui permet de bien convenir aux besoins actuels et postmodernes. Un mythe refuse UNE histoire ainsi qu’UNE vérité, et implique une recherche de vérité dans les espaces, dans les différences entre les différentes histoires. Parler du cyber-féminisme comme d’un mythe n’a pas comme dessein de le mystifier, mais indique simplement que le cyberféminisme n’existe que dans le pluriel.”

Que signifie de dire que le cyberféminisme n’existe que dans le pluriel? Ceci signifie fondamentalement qu’il exige un environnement discursif pour se développer. Il réclame des structures qui puissent rassembler de nombreuses voix, voix qui expriment les cyberféminismes individuels.

Le contenu exige la forme

Cela nous ramène à OBN. Le ‘old boys network’ est consacré à la construction d’espaces réels et virtuels dans lesquels les cyberféministes peuvent rechercher, expérimenter, créer, communiquer et agir. Ces plates-formes fournissent une présence contextualisée aux approches diverses et interdisciplinaires du cyberféminisme. En d’autres termes, les plates-formes telles qu’elles existent, conférences, réunions, discussions, sites Web, listes de diffusion, sont nécessaires afin de réaliser = de rendre réelle la construction de l’esprit. La réalisation du cyberféminisme exige d’autres, beaucoup d’autres, de nombreux cyberféminismes différents.

La construction de ses structures fait partie intégrante du cyberféminisme

Le contenu cyberféministe reflète AUSSI toujours les conditions de sa production, sa communication, et sa distribution.

Les différentes approches se côtoient, et créent un contexte.
Il n’y a pas une SEULE histoire vraie, un cyberféminisme véritable. La vérité se situe dans la diversité, la différence, dans les espaces entre les approches et déclarations individuelles. Pour les présentations, OBN a généralement choisi le format de trois représentantes qui développent la même question afin de montrer la diversité de réponses possibles dans le même contexte. La question n’est pas d’avoir raison, mais d’analyser, de comparer, de discuter, de combattre et d’accepter. C’est ce qu’ OBN appelle la ‘politique de la dissidence’. (aussi utile en termes de prévention du conflit pendant le processus de pensée) Certaines voix affirment que la politique de la dissidence est quelque chose qui ne peut pas exister, puisque la politique se définit par des idées et objectifs clairement exprimés. Cela est un (double) malentendu puisque la politique de la dissidence exige un accord - sur la structure; en outre l’organisation du désaccord est évidemment hautement politique, même dans une compréhension traditionnelle de la politique. L’objectif commun se situe à un niveau différent, celui de l’organisation/structure. Sans accord sur la structure rien n’arrive (ne peut arriver).

Cyber

Cyber dans cyberféminisme n’indique pas seulement quelque chose (quelqu’elle soit) de nouveau, mais représente le medium du réseau numérique. Le cyberféminisme sans cyber ne serait pas possible. Le milieu numérique et ses caractéristiques spécifiques en termes de simulation et de communication en sont une partie intégrante. L’action cyberféministe est directement fonction du medium.

Féminisme

Le féminisme dans cyberféminisme indique bien une référence, mais pas seulement une référence linéaire et historique. Le genre est compris dans un sens élargi, comme catégorie politique classique, tout en étant relié à une compréhension différente de la politique.

Politique cyberféministe

OBN entend la politique comme travailler avec la confusion, la déception, la contrariété, l’impatience et la surexcitation. Les nouveaux espaces de pensée et d’action ouverts par OBN ne sont pas occupés par des instructions et des réponses générales. OBN ne formule ni théories ni thèses. Les cyberféminismes sont individuels, et ainsi les stratégies cyberféministes continuent à être partielles, en devenir et peuvent même se contredire. La perception qu’a OBN de la politique semble paradoxale. Il s’agit de former des alliances, de définir des problèmes communs et de la dissidence, de créer un discours; c’est un réseau pragmatique, philosophique et actif; il rejette les objectifs communs, compare des stratégies, et jongle avec des notions différentes de politique, c’est-à-dire celle du dessein, de l’idéologie, du jeu et de l’anarchie. C’est une compréhension de la politique qui connaît son efficacité sans en parler. C’est comme l’art.

Politique réelle

Fondamentalement la politique est une question (d’organisation) de structures de pouvoir. La cellule germinale de la politique est faite d’unités de plus en plus petites. Les membres doivent s’engager, examiner leurs idéaux, éprouver leurs limites; les règles doivent être définies, les sanctions déterminées. Former l’agence politique. La politique est quelque chose de complexe, et signifie le façonnage des relations et de la société. Il n’existe pas de recettes simples (le cyberféminisme prétend les avoir, mais à la fin refuse de les donner. C’est mesquin). Une conception erronée importante est de penser que la politique peut être simple, et qu’être pour ou contre quelque chose est politique. C’est la marque d’une compréhension réduite de la politique. Il semble plus intéressant de donner une nouvelle définition de la politique, se développant de petites structures vers des structures plus grandes.

Le réseau/la solution

La plupart des personnes n’ont pas établi de relation personnelle à la politique. Le cyberféminisme, la mise en réseau, et l’auto-organisation peuvent aider. La création de structures parallèles permet une expérience personnelle de la politique. Devenir ‘membre’, une cyberféministe, exige un retour sur soi, sur sa propre intelligence et son intuition. C’est un principe actif. Vous ne pouvez pas étudier et copier le cyberféminisme, mais vous devez inventer le vôtre. Vous devez le rendre public, et faire partie intégrante de ce discours. La passivité et la consommation n’existent pas dans le cyberféminisme. C’est l’option qu’offre le cyberféminisme, et elle devient significative.

Résultat

De façon générale, un manuel pratique est quelque chose de relativement simple. Il vous aide à accéder à un sujet choisi, et à faire les premières démarches pour vous familiariser avec lui. Vous recevez des instructions et des définitions précises qui vous orientent vers une nouvelle voie. De mon point de vue, ce concept soulève deux questions :

1.Est-ce que j’aimerais recevoir des instructions d’un tiers ?
2.Est-ce qu’il serait possible de donner des instructions simples pour quelque chose de complexe - comme le cyberféminisme?

Evidemment, c’était une ruse facile pour vous faire croire que quelque chose comme un manuel de cyberféminisme pourrait exister. Et la ruse fonctionne bien, parce que tout le monde est sensible aux recettes simples. C’est ainsi que vous êtes ici afin d’écouter mes instructions, et que je me suis employée avec rigueur à vous décevoir activement...au moins un petit peu, mais en même temps à vous l’idée donner de "Comment devenir cyberféministe?"

Instructions für Unverbesserliche

1.Ne pas essayer d’apprendre ce qu’est le cyberféminisme, la compréhension que d’autres en ont n’est pas pertinente dans un premier temps

2.Demandez-vous si vous voulez vraiment devenir plus active que vous ne l’êtes déjà. Le principe d’activité du cyberféminisme exige que vous formuliez votre propre approche, et que vous contribuiez à l’élaboration de structures (ce qui représente en fin de compte beaucoup de travail)

3.Si votre premier travail cyberféministe est prêt (il n’importe peu que vous l’appeliez art, théorie, action, ou autre chose), offrez le en contribution au contexte, en mieux au Old Boys Network

4.Vous pouvez alors commencer lentement à essayer de comprendre d’autres cyberféminismes, et à réfléchir aux langages qui permettraient de continuer à communiquer

5.En continuant à agir ainsi pendant quelques années, vous vous rendrez compte combien il est amusant, mais combien ceci implique de travail, d’être cyberféministe et de changer le monde.

Questions complémentaires à vous poser :

 Voulez- vous changer le monde?
 Voulez- vous vous changer?
 Voulez- vous faire une carrière?
 Voulez- vous devenir célèbre?
 Savez- vous ce que vous aimez le mieux faire?
 Savez- vous ce que vous savez faire le mieux ?

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