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Andrin, Muriel

L’Eve virtuelle ou les paradoxes de l’héroïne cybernétique

On-line version: http://www.constantvzw.com/vj6/Texts.php?id=42

" Maintenant, ajouta l’électricien, nous allons, puisque vous le désirez, examiner, d’une façon sérieuse l’organisme de la créature nouvelle, électro-humaine, - de cette EVE FUTURE, enfin, qui, aidée de la GENERATION ARTIFICI-ELLE (…), me paraît devoir combler les vœux secrets de notre espèce, avant un siècle (…) "
Villiers de l’Isle-Adam, L’Eve Future (1900).

La présence dans le cinéma actuel d’héroïnes telles que celles d’Alien IV (Jean-Pierre Jeunet, 1997), The Cell (Tarsem Singh, 2000), eXistenZ (David Cronenberg, 1999), Final Fantasy – The Spirits Within (Hironobu Sokagushi, 2001) ou The Matrix (des frères Washowski, 1999) ravive à ma mémoire une question posée par Donna Harraway en 1991 : " If I’m a cyborg rather than a goddess will patriarchy go away ? ". Même si elle se pose ici selon une perspective plus cinématographique, la même angoisse transparait clairement : l’existence des cyberhéroïnes filmiques peut-elle proposer un changement significatif au niveau des représentations féminines jusqu’à présent régies par les lois d’un imaginaire presque exclusivement masculin ?

Si l’intérêt d’une étude dévouée à la cyberhéroïne ne fait aucun doute, le sujet semble particulièrement pertinent lorsqu’on le considère dans le cadre restreint des études féministes ; image de la femme aux pouvoirs physiques et intellectuels parfois surnaturels, se situant de plus en plus souvent au centre des narrations filmiques, la cyberhéroïne s’éloigne de la dichotomisation proposée par la théoricienne Laura Mulvey au début des années 70. Au niveau des enjeux visuels, elle a ainsi dépassé le stade de la simple objectification et du spectacle passif offert au regard scopophilique du spectateur masculin. Demeurant un spectacle plastique, elle devient avant tout l’objet d’une mythification. Cette vision s’accompagne de fonctions narratives plus développées (la prise en charge du pouvoir effectif et/ou symbolique jusque là dévolue aux personnages masculins). Nouvelle forme de représentation féminine, tenant aussi bien de l’ordre de l’Imaginaire que du Symbolique, la cyberhéroïne est-elle pour autant l’incarnation de l’espoir de Donna Harraway ?

Pour pouvoir répondre de son utilité et de sa capacité à changer ou non l’avenir des représentations féminines, une pléthore d’autres questions s’imposent : comment sont-elles représentées, comment ont-elles évolué dans le champ cinématographique, quelles sont leurs sources d’influence, sont-elles différentes des cyberhéros et en quoi ? Comme pour tout voyage fantastique, introduisons ici un avertissement : notre réflexion se présentera comme un work in progress, la suggestion de quelques pistes de travail toujours susceptibles de se voir modifiées ou nuancées par d’autres exemples. Les héroïnes sont à l’image de notre vie cyber – toujours en évolution.

I Les pourtours d’une définition

La première étape d’un telle entreprise commence, comme toute autre démarche, par l’établissement de règles, de points d’ancrage, à savoir, dans ce cadre précis, une tentative de définition de la cyberhéroïne. Celle-ci, évoluant au sein d’un univers cybernétique, se définit, intrinsèquement, comme un personnage inséré dans une réalité virtuelle. Si l’on suit cette logique, elle serait donc d’abord définie selon un environnement, monde virtuel avec lequel elle interagit. Généralement représenté de façon futuriste, ce monde existe de façon indépendante (Alien IV, Final Analysis) ou côtoie une ‘réalité’ à laquelle il est relié par un lien mi-virtuel (l’ordinateur), mi-organique (l’être humain, par le biais du cerveau dans The Matrix et The Cell, ou du système nerveux comme dans eXistenZ). Dans ce deuxième cas de figure, le monde virtuel joue un rôle essentiel : c’est dans ce cadre précis que les héroïnes peuvent se dédoubler, devenant de nouvelles figures d’elles-mêmes dont les capacités sont maximisées.

Contrairement aux cyborgs et aux replicants, les cyberhéroïnes ne répondent pas réellement à la définition d’organismes à mi-chemin entre l’humain et la machine (celle-ci reste définitivement en dehors de l’intégrité physique des cyberhéroïnes, même si elle entre en interaction avec leurs corps). Il me semble pourtant primordial de leur appliquer cette même idée de reconstitution. Pour reprendre les arguments d’une théoricienne comme Rosi Braidotti, sans toutefois adhérer à l’extrémisme de ses idées, l’héroïne est un corps reconstitué. Envisageant l’héroïne comme un être hybride, cette conception permet ainsi de comprendre l’existence de corps ‘refaçonnés’ par le clonage (celui d’Ellen Ripley dans Alien IV, ce qui provoque la réflexion d’un scientifique, " We’ve remade you "), les manipulations génétiques ou de simples reconstitutions physiques (Leeloo dans The 5th Element est littéralement recréée à partir d’une simple partie de corps). Les manipulations psychiques, notamment de la mémoire (comme dans le cas des replicants dans Blade Runner) ou du vécu (par les jeux vidéos dans eXistenZ, la matrice de The Matrix ou la machine à psychanalyser de The Cell) peuvent également être inclues dans cette idée de reconstitution. Lorsqu’il y a co-présence de mondes dichotomiques, l’accès à l’univers virtuel passe souvent par une robotisation visuelle partielle, une hybridation du corps réel de l’héroïne.

Le corps et la tête de Catherine (Jennifer Lopez) sont recouverts de la combinaison nervienne et du tissu numérisé ; le cerveau de Trinity (Carrie-Ann Moss) dans The Matrix est pénétré par une sonde ; la colonne vertébrale d’Allegra Galler (Jennifer Jason Leigh) est reliée de façon quasi organique à son pod qui, une fois branché, lui permet l’accès au jeu. Lâché dans l’univers virtuel, le corps virtualisé est ainsi libre de toute attache à l’exception d’un détail qui lui permet de revenir dans le monde réel (inséré dans le corps comme le carré greffé dans la main de Catherine (The Cell), ou extériorisé, comme le téléphone de The Matrix).

En dehors de cette définition visuelle du personnage, ce qui définit le mieux ces cyberhéroïnes est sans aucun doute leurs diverses capacités. L’environnement dans lequel elles évoluent leur permet d’utiliser au mieux leurs aptitudes intellectuelles et physiques. Elles prennent dès lors en charge l’avancée (totale ou partielle) de l’intrigue, permettant de mener à bien des entreprises vouées à l’échec (éliminer les aliens du vaissseau, sauver une jeune fille d’une mort annoncée, sauver l’humanité libre, etc.).

II Historique, héritage et continuité

Une des préoccupations premières de ma démarche de chercheuse vis-à-vis des figures féminines est ce besoin constant de replacer celles-ci au sein d’un historique, d’une lignée de représentations. La devise " Rien ne se perd, rien ne se crée " pourrait servir ici à résumer ma pensée sur les archétypes féminins qui hantent l’univers artistique, archétypes toujours repris, retravaillés et réintégrés au gré des différents soubresauts historiques et des modifications dues à l’évolution temporelle. La cyberhéroïne fait elle aussi partie de ce mouvement de réintégration, de ‘recyclage’. Même si elle dépend d’un contexte socio-historique bien précis, les indices esthétiques qui la composent servaient déjà de base aux figures ancestrales qui l’ont précédée. Ainsi, malgré des spécificités liées au domaine cybernétique, elle s’intègre, de façon syncrétique, comme une variante dans une lignée de constructions féminines préexistantes déjà assimilées par l’inconscient collectif de notre société.

Plusieurs liens peuvent être tissés entre les représentations actuelles et d’autres figures féminines originelles. Le premier concerne une affinité visuelle développée entre les cyberhéroïnes et une imagerie alliant femme et machine. Celle-ci repose sur la visualisation de l’appareillage reliant directement la femme et la machine, comme c’est le cas des créatures fantasmagoriques de HR.Giger (Biomécanoïde ou Giger’s Necronomicon, 1976) ou celles de mangas japonais tel que Ghost in the Shell (Mamoru Oshii, 1995). Mais les liens peuvent également, et plus systématiquement, s’articuler sur la représentation d’une silhouette familière, plastique dans tous les sens du terme, s’étalant de Musidora dans la série des Fantomas (1900) à Cat Woman (Michelle Pfeiffer) dans Batman II, et trouvant ses prolongements dans un personnage comme Trinity dans The Matrix.

Au-delà du jeu de l’association presque purement stylistique, le deuxième lien reliant les cyberhéroïnes à des figures féminines déjà existantes est celui, plus intéressant, de la représentation féminine comme construction. Le prologue d’un film tel que Thomas est amoureux (Pierre-Paul Renders, 2000) illustre parfaitement cette idée. Le choix d’un tel exemple n’est pas innocent, il est même volontairement provocateur et pourtant symptomatique de cette vision de la cyberhéroïne en tant que construction. En effet, les origines de la représentation de la prostituée Clara renvoient au-delà de la simple imagerie femme-robot ; elles s’ancrent d’abord et avant tout dans un mode de pensée profondément misogyne qui s’est exprimé à la fin du 19ème siècle.

Etrangement, ce n’est plus au sein de la représentation visuelle que se situe le lien, mais bien de la littérature. Hadaly dans L’Eve future (Villier de l’Isle-Adam, 1900) et La Stilla dans Le château des Carpates (Jules Verne, 1899) offrent les caractéristiques d’une première version de la cyberhéroïne. Reconstituées grâce à des ‘trucs’ proches des représentations cinématographique (essentiellement des hologrammes ou des robots mus par la fée électricité), ces mechanical brides sont des doubles vérisimilaires des modèles réels qui sont soit imparfaits (Evelyn Habal), soit morts (La Stilla). Ce qui frappe, au-delà de la machinerie mise en place pour créer ces premiers êtres virtuels, c’est la motivation qui pousse leurs créateurs. A près d’un siècle de distance, tout comme Clara dans le film de Renders, elles tendent à incarner des modèles ‘parfaits’. Précisons d’emblée que cette perfection a été formatée par les idéaux masculins et misogynes de l’époque qui présentent la femme comme un être intrinsèquement dévoué au service de l’homme, douée d’une propention à l’abnégation et à la nature salvatrice. La version émancipée du personnage de Clara ne doit pas nous leurrer : sa conception dépend uniquement d’un plaisir scopophilique masculin , hypothèse confortée par l’utilisation d’une caméra subjective qui renvoie aux débats provoqués par les textes de Laura Mulvey.

L’idée de construction est par ailleurs parfaitement articulée, notamment dans l’exemple de l’Eve Future. L’édifiant passage, ironiquement intitulé " Exhumation ", lors duquel Edison décompose littéralement la femme admirée pour sa beauté sans failles, nous révèle en réalité un amas de ‘pièces rapportées’, un personnage entièrement construit sur base d’une confondante artificialité. Tout comme Clara, Hadaly n’est finalement qu’une construction, l’image même d’une perfection fabriquée.

Directement influencé par la figure d’Hadaly, le robot féminin du film de Fritz Lang, Métropolis (1926), nous permet d’établir une autre caractéristique commune aux cyberhéroïnes et à des représentations archaïques - celui de la systématique opposition dichotomique des figures féminines. Le film fait plus encore que de présenter une image archétypale de la femme cyber (comme le démontre le transfert de l’identité de Maria vers le robot), ou que de nous montrer le robot féminin comme une construction, non plus, cette fois, du plaisir masculin, mais de sa volonté de pouvoir et de manipulation. Il présente en réalité les deux faces d’un même visage ; d’un côté, le douce et vertueuse Maria, associée par son nom à la Vierge, et à l’image aux enfants et à la juste lutte des ouvriers - de l’autre, la fausse Maria, le robot programmé pour détourner les effets bénéfiques de la première et qui affiche une hystérie maléfique. Ces images synthétisent une claire délimitation (inversant les bases des exemples littéraires repris ci-dessus) entre la réalité vertueuse et le robot maléfique. Le cinéma a très longtemps recyclé l’aspect maléfique de ces figures robotisées ou virtuelles ; c’est le cas des réplicantes dans Blade Runner (Priss (Darryl Hannah) et Rachel (Sean Young)) ou même de Cat Woman dans Batman II, qui ressemblent étrangement aux femmes fatales des années 50 au niveau de leur utilisation scénaristique. L’intérêt des cyberhéroïnes actuelles est qu’elles échappent progressivement à cet emploi : la plupart incarnent une figure regroupant à la fois les attributs du bien et du mal, devenant des personnages non plus manichéens mais offrant, dès lors, une toute nouvelle complexité.

Ainsi, dans The Cell, Catherine doit noyer Carl pour sauver son âme ; dans Final Fantasy, Aki est à la fois le médecin salvateur, mais aussi porteuse du virus et donc de la mort puisque l’esprit malin germe en elle (d’où le titre, " the spirits within ", les ‘esprits’ étant identifiés dans le film comme les mort d’une planète condamnée) ; même Lara Croft renouvelle la représentation de la jeune fille et de la mort en portant à son ceinturon une tête de mort ; enfin, exemple ultime, Ellen Ripley est à la fois la jeune fille et la mort puisqu’elle a été reconstituée à partir du code génétique de son ancêtre, dévorée par les flammes dans l’épisode précédant (d’où le dialogue suivant : " What did you do ? " " I died ").

Plus encore que de créer une double figure et comme le laisse présager Lara Croft et son ceinturon, Métropolis permet d’introduire la valeur mythique de la créature artificielle et virtuelle. Dans la scène de la danse où Freder imagine la fausse Maria dansant devant un parterre masculin, le rendu mythique est parfaitement articulé. La mise en scène de la danse frénétique privilégie les contre-plongées, entoure la fausse Maria d’un halo lumineux et de voiles, et la montre, enfin, érigée à bout de bras en triomphe, telle une statue païenne. S’éloignant définitivement du robot asexué, le personnage accède au statut de déesse adulée dont la présence provoque la fascination.

III Les cyberhéroïnes ou le règne des nouvelles déesses

Cette idée des cyberhéroïnes comme de nouvelles déesses renvoie directement à la question d’Harraway et lui répond en partie. La théoricienne, en pensant que les cyborgs échappent au règne de la représentation de la femme en tant que déesse, omet l’exemple des cyberhéroïnes. Le processus de mythification est omniprésent dans l’élaboration de leur représentation filmique.

Catherine (The Cell) est mythifiée aussi bien de façon négative dans le monde de Carl (en figure mythique muselée par un harnais en or et enchaînée au lit fastueux par une laisse d’acier), que de façon positive dans le sien (en Ange Blanc dans le monde d’Edward, ou en Vierge Marie à la façon de Pierre et Gilles, les photographes français, dans son propre inconscient) ; à la base d’une nouvelle religion, Allegra Galler (eXistenZ) est considérée comme la nouvelle déesse des jeux virtuels (l’organisateur l’introduit comme étant " the world’s greatest game designer, the gamepad goddess herself "), apparaît dans un décor proche des églises (comme le dénotent les vitraux de la salle, l’estrade et les bancs) et suscite les réactions fanatiques des spectateurs qui tombent à genoux devant elle – tout en gardant une valeur dichotomique puisqu’elle est aussi un démon que l’on veut abattre (Ted Pikul sera le dernier d’une longue série d’opposants à s’écrier " Death to the demoness, Allegra Galler "); l’héroïne de The Matrix, comme les autres personnages (Morpheus), est insérée dans un fort rapport de symbolisation religieuse de par son nom, Trinity et est même flanquée d’une autre figure féminine mythique, l’oracle, sorte de sphinx qui reçoit Néo pour lui dire qu’il n’est pas l’élu.

En réalité, lorsque le monde réel et le virtuel coexistent, une claire délimitation s’établit entre les formes de représentation des héroïnes. Si cette dichotomie est principalement visuelle, elle tient également d’une logique narrative. Simples mortelles dans le monde réel, les personnages se métamorphosent en de véritables déesses dans le monde virtuel : c’est le cas d’Allegra Galler (eXistenZ), déesse d’eXistenZ et simple participante au jeu trAnscendenZ, de Trinity (The Matrix), bardée de cuir et aux pouvoirs illimités dans le monde virtuel, simple membre d’équipage dans la vie réelle, ou encore de Catherine (The Cell), simple psychologue à la ville et ange salvateur dans son inconscient et celui de ses patients.

Cette mythification dépend également d’un rapport ténu avec les éléments et fait, dans certains cas, des cyberhéroïnes les descendantes directes de Gaïa, la déesse-mère, la terre-mère des religions paléolithiques, pré-symboliques (avant toute instauration du Dieu masculin) où règne l’idée d’un tout cosmique.

Aki (Final Fantasy) est associée à la terre, aux plantes, aux animaux, mais surtout à l’eau, élément récurrent dans ses rêves et dans la scène finale ; l’eau se retrouve également dans The Matrix où elle permet le passage de Néo dans la ‘réalité’, d’abord sous forme d’onde, puis dans une sorte de liquide amniotique, puis lors du sauvetage de Morpheus. L’eau est également présente dans l’inconscient de Carl avant que Catherine ne soit jetée à ses pieds par une de ses gardiennes, et dans celui de Catherine lorsque Carl surgit dans son esprit sous la forme d’un monstre aux écailles émergeant de l’étang (The Cell).

L’imaginaire visuel qui accompagne le personnage est, comme le laisse présager la présence systématique de l’eau, également caractéristique d’une forme de mythification, principalement au travers de l’élément matriciel. En effet, la matrice s’illustre au travers de nombreux éléments, explicites ou implicites, comme elle l’est par ailleurs dans un nombre considérable de films d’horreur et de science-fiction. Tout comme l’héroïne elle-même, les représentations de l’imagerie matricielle portent en elles leurs propres contradictions: la matrice est à la fois un lieu de reproduction, de vie, mais aussi de destruction, du danger et de mort.

La représentation de la matrice peut se faire en tant que telle : la matrice de The Matrix qui se veut être une nouvelle forme de malédiction (selon Morpheus, ‘Aussi longtemps que la matrice existera, nous ne seront pas libres’), mais aussi la matrice géante de l’enfantement du monstre dans Alien IV ou de la bénéfique terre-mère, Gaïa, dans Final Fantasy. Mais elle peut également passer par le biais d’une imagerie variée ; le pod du jeu eXistenZ est une sorte de fœtus relié par un cordon ombilical ; Néo se voit pénétré par un mouchard dans le nombril, mouchard que Trinity élimine après une ‘échographie’ mouvementée par ce même nombril ; il se voit également renaître dans une sorte de liquide amniotique (The Matrix). Les exemples les plus frappants se retrouvent dans Alien IV où la majorité des lieux parcourus par Ripley reprennent l’idée de substituts matriciels : l’éprouvette géante dans laquelle est reproduite Ripley, mais aussi la cellule dans laquelle elle est emprisonnée jusqu’au magma géant qui l’engloutit avant de la rejeter dans la salle des machines envahie par la reine qui accouche d’un nouvel être hybride.

La matrice n’est par ailleurs pas simplement omniprésente. Comme le démontre principalement l’exemple d’Alien IV, où certaines scènes sont uniquement construites selon une succession d’images en fondus, la matrice semble provoquer des ruptures au sein du déroulement narratif, engendrant des tensions qui ne sont pas sans rappeler la question soulevée par Mulvey entre, d’un côté, ce qui est de l’ordre du Symbolique (la construction de la narration) et, de l’autre, ce qui appartient à l’Imaginaire (qui crée des ruptures dans cette construction, en figeant l’avancée narrative).

L’imagerie matricielle renvoie enfin à l’héroïne elle-même, celle-ci étant généralement assimilée à une forme de matriarcat dénuée de tout ancrage sociologique. Evitant le sens restreint du terme, les films opèrent dès lors un revirement vers une acception primitive, encore une fois liée à l’Imaginaire, au pré-symbolique.

Catherine est une sorte de mère universelle dans son rapport à Edward et à Carl (The Cell); il en va de même pour Trinity qui veille sur Néo comme sur son enfant, endossant le rôle de nourrice ou de protectrice (l’oracle est également une figure matricielle, déesse-mère qui détient la connaissance et le savoir) (The Matrix); Allégra qui conçoit son jeu comme son bébé (eXistenZ), Ellen Ripley recréée uniquement grâce à sa capacité d’engendrer les monstres et affichant des pulsions et instincts maternels envers ceux-ci (Alien IV); ou encore Aki dont la maternité prochaine permet de créer le dernier esprit bénéfique et de sauver l’univers (Final Fantasy).

IV Le pouvoir sans le pouvoir : le point de vue scénaristique

Force est de constater que l’imagerie véhiculée par la représentation de ces cyberhéroïnes dépend à la fois de formes archaïques et de résistances à des stéréotypes préétablis permettant d’engendrer des créatures mythiques. Qu’en est-il à présent de l’insertion de ces figures au sein des structures narratives des films? Ces dernières permettent-elles encore la viabilité de cette mythification, créant du même coup l’héroïne tant rêvée par Harraway ?

Une des indéniables avancées proposées par ces films du point de vue des représentations féminines est d’abord le positionnement de la cyberhéroïne au centre de la narration cinématographique ainsi que sa prise de pouvoir sur l’enchaînement des événements. Si j’ai souligné un glissement de l’héroïne robotisée du rôle négatif au positif (ou double) dans la partie sur l’imagerie, il faut à présent souligner le passage du rôle passif du personnage féminin dans bon nombre de genres cinématographiques à un rôle actif au sein de la narration. L’héroïne n’est donc plus uniquement la représentante de la rupture narrative par sa représentation iconique, elle est à la source même de l’avancée narrative.

Cette prise de pouvoir fonctionne à plusieurs niveaux. Dans un premier temps, elle s’illustre au niveau des actes. Les cyberhéroïnes, à l’instar des héros masculins, s’illustrent en tant que générateurs d’action, affichant d’emblée des pouvoirs extraordinaires aussi bien physiquement que psychologiquement et intellectuellement.

Toutes les cyberhéroïnes démontrent des capacités physiques, mais aussi une connaissance, un savoir hors du commun. Dans The Cell, Catherine est préférée à d’éminents psychanalystes car ses capacités et son intuition lui permettent mieux que quiconque de pratiquer une forme de thérapie à l’intérieur du cerveau d’Edward ; dans eXistenz, Allegra est une créatrice qui initie les spectateurs à son nouveau jeu puisqu’elle est la seule à détenir toutes les clefs d’une œuvre qu’elle a engendrée ; dans The Matrix, Trinity affiche une sorte de connaissance omnisciente des faits et gestes de Néo lorsqu’elle le rencontre (" je sais pourquoi ") ; dans Alien IV, le clone parfait d’Ellen Ripley revient à la vie pourvue des connaissances de son être originel. Elle sait ainsi que son enfant est une ‘reine’ qui va bientôt mettre bas et que les hommes du vaisseau sont en danger.

Cet excès, cet aspect ‘bigger than life’ qui s’articule au niveau des actes complète parfaitement la mythification dont les héroïnes sont l’objet du point de vue de la représentation visuelle. Au-delà de cet acquis originel, elles permettent également à l’action d’évoluer et de se développer.

Allegra initie la fuite et le passage dans le monde virtuel qu’elle a créé (eXistenZ) ; Catherine permet de faire avancer l’enquête de l’inspecteur Novak en pénétrant dans le cerveau de Carl (The Cell) ; Trinity amène Néo à Morpheus (The Matrix) ; Aki s’interroge " will I be in time to save the earth ? " lorsqu’elle cherche et trouve, envers et contre tous, les esprit bénéfiques qui sauveront la planète (Final Fantasy).

Cette prise de pouvoir des faits s’accompagne souvent de plusieurs formes de prises de pouvoir symboliques. Celles-ci peuvent mettre en jeu l’inversion des rôles sexuels habituellement distribués entre les personnages masculins et féminins. L’exemple le plus frappant et le plus ludique est sans aucun doute celui d’eXistenZ. Si Allegra Galler prend en main la fuite entraînant presque contre son gré Ted Pikul, son ‘garde du corps’, aussi vulnérable qu’une femme stéréotypée (" I feel really vulnerable " affirme-t-il, désemparé face à la tournure des événements), elle impose également leur rapport de couple en le persuadant de se faire mettre un bioport et en le ‘pénétrant’ de son doigt pour vérifier si l’appareil est bien opérationnel.

La prise de pouvoir symbolique peut également s’effectuer par des moyens plus conventionnels, comme le maniement de symboles phalliques, principalement les armes à feu (comme c’est le cas dans Lara Croft, Alien IV, The Matrix ou Final Fantasy), ou la prise en charge du langage (d’où l’utilisation de la voix off dans Final Fantasy où Aki nous explique sa mission et ses angoisses, ou dans les premiers plans d’Alien IV où Ripley est défini comme un être omniscient qui détient parole et connaissance en affirmant que " My Mummy always said that there are no monsters, no real one – but there are ").

Enfin, la prise en charge du pouvoir symbolique par le regard est également illustrée dans ces films, comme le montrent à la fois le truchement par le plan de l’œil dans la première séquence de The Matrix et l’extension de l’œil d’Aki par l’appareil pour détecter les fantômes et les âmes. Au-delà de la simple illustration, cette forme s’accompagne souvent d’une capacité à pénétrer dans l’esprit de l’héroïne et représenter son univers interne, son inconscient (cette idée est particulièrement pertinente dans le cas de The Cell où l’on suit l’évolution de Catherine dans l’univers inconscient de ses patients, puis dans le sien, mais aussi dans Final Fantasy où les rêves d’Aki nous sont dévoilés).

Tout le récit semble donc s’articuler sur cette nouvelle prise de pouvoir féminine. L’exemple de Final Fantasy m’a prouvé que cette affirmation est en réalité inexacte. Leurrée par la mythification visuelle évidente de ces cyberhéroïnes, ce que j’avais considéré comme un postulat de départ (leur centralité ainsi que leur pouvoir effectif sur l’ensemble de la narration) se révèle être un argument fissurable. Si l’on regarde plus attentivement les films, la réalité nous saute aux yeux, parfois sous le biais d’une flagrante supercherie.

La plupart des héroïnes sont flanquées d’un héros masculin qui les aide et partage, parfois même à parts égales, le centre de la narration : Novak (The Cell), le lieutenant (Final Fantasy), Ted Pikul (eXistenZ). Mais l’exemple le plus cruel est sans aucun doute celui de The Matrix où la première scène induit le spectateur en erreur – Trinity n’est pas le personnage principal mais bien un des adjuvants de Néo, malgré la poursuite époustouflante qui la met en scène.

En réalité, les cyberhéroïnes, tout comme les héros masculins, subissent, pendant le cours de l’action un affaiblissement qui les font régresser de l’état actif au passif. Au premier stade de la narration, cet affaiblissement tient plus du ressort scénaristique que du sexe du héros/de l’héroïne.

Allegra (eXistenZ) est poursuivie par ses ennemis, mais aussi mise en position de faiblesse à l’intérieur de son propre jeu lorsque Ted Pikul se révèle être une source d’infection, puis lorsqu’elle est elle-même infectée par le pod malade ; Trinity dans The Matrix est neutralisée lorsqu’elle se retrouve prisonnière avec Néo dans le monde virtuel ; Catherine (The Cell) devient l’esclave de Carl lorsqu’elle ne parvient plus à faire la différence entre son monde inconscient et le réel ; Aki (Final Fantasy) est affaiblie physiquement (lorsqu’elle reçoit une balle et doit être opérée), mais aussi symboliquement (lorsque ses rêves lui sont subtilisés).

Dans une parfaite logique de développement narratif, les héroïnes doivent être sauvées de ce faux-pas. Mais contrairement aux héros qui parviennent à se sortir eux-mêmes de ces situations problématiques, les cyberhéroïnes dépendent de leurs pendants masculins pour prendre en charge leur sauvetage ;

Pikul parvient à faire sortir Allegra de son jeu (eXistenZ), un des membres de l’équipage ramène Trinity et Néo dans le vaisseau (The Matrix), Novak s’insère dans l’inconscient de Carl et se fait torturer pour faire revenir Catherine à la raison (The Cell), le commandant accompagne Aki dans son esprit pendant son opération pour que celle-ci aie le désir de revenir à la vie (Final Fantasy).

L’autre part de logique narrative qui devrait s’enclencher après le sauvetage est le retour de la cyberhéroïne aux commandes de l’avancée narrative et de son dénouement. Pourtant, si leur présence joue un rôle évident dans la résolution, le tout s’accompagne, une fois encore, d’une contradiction, d’une résistance. Il y a comme une impossibilité de confier jusqu’au bout et dans toute sa complexité l’exécution de la résolution narrative au personnage féminin.

Dans The Cell, Catherine ‘partage’ son sauvetage avec Novak, dans une dichotomie parfaitement archaïque (Novak sauve effectivement Julia, la dernière victime de Carl, pendant que Catherine ‘sauve’ l’âme du tueur) ; même si elle n’assume pas le rôle principal, Trinity dans The Matrix se voit reléguée aux personnages secondaires avant de sauver Néo dans une revisitation inversée de la Belle au Bois Dormant ; dans eXistenZ, Allegra gagne le jeu, mais est ‘repositionnée’ dans le cercle des autres joueurs ; dans Final Fantasy, Aki parvient à sauver la terre, mais uniquement par le biais du sacrifice du commandant qui sert de lien pour que les forces bénéfiques convergent et transforment le magma. Parmi tous ces exemples, seule Ellen Ripley parvient à ‘évacuer’ le dernier alien du vaisseau sans aucune aide (Alien IV).

Encore une fois, contrairement aux épopées grandioses des héros masculins, les films où apparaissent les cyberhéroïnes semblent entachés d’une plus forte complexité. La victoire, le triomphe final annoncé ne l’est pas entièrement, laissant dans son sillage une forme d’amertume.

Dans Final Fantasy, le dernier plan montre Aki pleurant sur le corps de son aimé qui s’est sacrifié pour sauver le monde ; dans The Cell, Catherine sauve Edward après avoir tué l’enfant Carl pour permettre à son âme de reposer en paix ; dans eXistenZ, Allegra s’unit à Ted pour revendiquer l’exécution des manipulateurs. Enfin, dans Alien IV, Ellen Ripley et Call admirent la terre, tout en sachant pertinemment qu’elles y sont des étrangères (" I’m a stranger here myself ").

Les films où apparaissent des cyberhéroïnes tiennent donc d’une double dynamique ; d’un côté, ils mythifient leurs héroïnes principales et de l’autre, ils minimisent leurs capacités intellectuelles et physiques en les privant de la maîtrise et de la résolution de la narration.

V Le futur de l’Eve virtuelle

A la fin de ce périple, revenons un instant sur la question soulevée par Rosi Braidotti : faut-il réellement refuser tout renvoi archaïque, faire table rase de toutes les représentations féminines préexistantes pour engendrer la figure unique de la cyberhéroïne ? L’exemple d’Ellen Ripley à cet égard me semble particulièrement parlant. Son parcours retrace l’historique de la condition féminine : Ripley est d’abord le fantasme de la femme-éprouvette, parfaite grâce aux efforts masculins, née de leur imaginaire, ‘domptée’ par ses créateurs et engendrée à des fins de reproduction. Comme les anges au foyer dix-neuvièmiste elle est entièrement contrôlée par sa fonction reproductrice et son rapport à l’homme/ses désirs. Mais Ripley se révolte contre cette condition et, dans une scène fabuleuse, se retrouve face à ses propres clones ; en accédant à la demande d’un de ses doubles ratés qui la supplie de la tuer, Ripley accomplit, exauce le vœu de Virginia Woolf qui préconisait de " tuer l’ange au foyer " (killing the angel in the house) pour accéder à sa libération. Mais même si elle tue ses autres ‘exemplaires’ monstrueux, Ripley n’en reste pas moins tributaire d’une lignée mythique qui constitue, en partie, son identité.

Dans cette perspective, ma réponse aux affirmations de Rosi Bradotti et à la question de Donna Harraway est simple. Pour moi, les cyberhéroïnes ressemblent sensiblement à d’inespérées déesses du 21ème siècle, prêtes à engendrer une nouvelle mythologie sur les cendres de leurs ancêtres archaïques. Même si elles sont nées d’un imaginaire et d’une production masculines, ces nouvelles déesses, fortes et complexes, mettent en péril le patriarcat en n’étant jamais victimes d’une représentation manichéiste et simpliste comme le sont souvent les personnages masculins qui hantent nos écrans de cinéma.

Notes

Je tiens tout particulièrement à remercier Laurence Rassel qui, grâce à son initiative, a introduit ces fameuses cyberhéroïnes dans mon champ d’investigation et m’a permis de travailler sur de si extraordinaires figures.

" Manifesto for Cyborgs : Science, Technology and Socialist Feminism in the 1990s " dans Simians, Cyborgs and Women, London : Free Association Books, 1991.
Laura Mulvey, " Visual Pleasure and Narrative Cinema " dans Screen, vol.16, n°3, automne 1975.
Ouvrons ici une parenthèse pour établir une différence entre les cyborgs (organisme mi-humain, mi-machine), les réplicants (comme ceux de Blade Runner, Ridley Scott) (êtres manufacturés, identiques aux humains, supérieurs en force et agilité et au moins égaux en intelligence aux ingénieurs génétiques qui les ont engendrés) et les cyberhéroïnes.
Cfr. " Cyberfeminism with a Difference " (online sur http://www.let.ruu.nl/women_studies/rosi/cyberfem.htm) et sa traduction " Le cyberféminisme, différemment " dans Cyberféminisme, Bruxelles : constant vzw, 2001.
Cette combinaison, désignée sous le terme de muscle suit par la costumière de The Cell, Eiko Ishioka, symbolise par ailleurs le passage sous la peau et dans l’inconscient de par son aspect qui renvoie à la figuration du système nerveux du corps humain.
Je m’éloigne ici des tendances dures et peu réalistes du cyberféminisme, comme celle incarnée par Rosi Braidotti, qui considère que l’on doit brûler toutes les représentations préexistantes des femmes pour en créer de nouvelles qui ne répondent plus à des schémas dépendant de la subjectivité masculine.
Notons que mis à part dans les mangas, ce cas de figure est très peu rendu dans le cinéma actuel et renvoie plus à une imagerie développée dans les années 70, comme le démontre l’exemple de Demon Seed de Donald Cammel (1977) avec Julie Christie où un ordinateur créé par un scientifique parvient à séquestrer et, après un viol, mettre enceinte la femme de celui-ci.
Thomas, condamné à vivre seul, face à son écran, seul lien vers l’extérieur, à cause d’un agoraphobie alarmante, fait appel aux services d’une prostituée virtuelle, Clara, avec qui il pratique les joies du sexe en apesanteur.
Notons qu’un premier exemple de cette héroïne entièrement virtuelle aux formes parfaites et qui satisfait les pulsions scopophiliques et érotiques du spectateur est celui de Jessica Rabbit dans Who’s afraid of Roger Rabbit ? (Robert Zemeckis, 1988).
Selon Mulvey, les héroïnes du cinéma hollywoodien sont le plus souvent conçues comme des constructions passives, offertes aux regard, en vue de satisfaire le plaisir voyeuriste et scopophilique d’un hypothétique spectateur masculin. Notons ici l’évolution de ces représentations, de femmes relativement asexuées (dans Blade Runner ou même Sigourney Weaver dans Alien) à des femmes présentant un excès de féminité (les courbes excessives de Jessica Rabbit, Clara, et bien évidemment Lara Croft), ce qui montre peut-être le passage d’une représentation tenant plus du danger féminin dans les premiers cas et plus du plaisir scopophilique (même si il y danger) dans les derniers.
Fredersen s’en sert pour dérouter les ouvriers et contrer le message initial de Maria, comme le rend cet intertitre adressé à Rotwang, le créateur : " Make your robot in the likeness of that girl. I will send the robot down to the workers, to sow discord among them and destroy their confidence in Maria ".
Pour une étude approfondie de ces deux figures féminines, cfr. article de Georges Sturm, " L’ombre d’un doute ou la maman et la putain. Sur les figures féminines dans Métropolis ", dans Les Cahiers de la Cinémathèque, n°44, 1986.
Cfr. Barbara Creed, " The Womb in Horror Films " dans The Monstruous-Feminine – Film, Feminism, Psychoanalysis, London : Routledge, 1993.
Je pense ici en particulier au réveil de Ripley après l’opération qui a consisté à lui retirer l’alien qu’elle portait en son sein et celle où elle disparaît, engloutie dans les méandres de la matrice extra-terrestre.
Certains films proposent même une double symbolique ; d’un côté la tendance matricielle, et de l’autre, les représentations phalliques (dans Final Fantasy, la lutte s’incarne entre le magma salvateur et les armes de guerres pointées sur la planète, mais le flux bénéfique de la matrice l’emporte) opposées dans un affrontement entre imaginaire/symbolique.
En effet, tous les ‘super-héros’ (de Superman à Batman) se retrouvent également à un moment ou à un autre de la narration en position de faiblesse, soumis à l’implacable volonté de leurs ennemis ou à celle du destin).

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