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Braidotti, Rosi

Le cyberféminisme différement

traduction Yves Cantraine, Anne Smolar

On-line version: http://www.constantvzw.com/cyberf/book/articles.php?pg=art8

Introduction: la postmodernité

"Dans la ville, aujourd’hui, il y a des composants libres et des particules accélérées, quelque chose s’est relâché, quelque chose rôde, se faufile, rampe vers son point d’impact. Quelque chose doit se produire et ce n’est pas sans danger. Vous devez prendre garde. Car la sécurité a déserté nos vies."

Martin Amis, Les Monstres d’Einstein 1

Dans cet article, mon premier objectif sera de situer la question des cyber-corps au sein de la postmodernité, en soulignant les paradoxes de l’embodiment.2 Ensuite, je développerai plusieurs variations sur le thème du cyber-féminisme, dont le fil rouge sera la différence sexuelle. Pour moi, loin des usages jargonnants du terme, "postmodernité" désigne la situation historique spécifique des sociétés post-industrielles après le déclin des espoirs et des tropes modernistes. L’espace urbain est à cet égard symptomatique de ces changements, en particulier les centres urbains qui ont reçu un nouveau visage postindustriel de métal et de verre; mais il ne s’agit là que d’un vernis qui recouvre la putréfaction de l’espace industriel et symbolise la mort du rêve moderniste de la société civile urbaine. Cette crise est avant tout une crise du monde occidental, mais pas uniquement. En effet, le trait caractéristique de la postmodernité est la nature transnationale de son économie alors que l’Etat-Nation est en train de décliner. Par ailleurs, un métissage ethnique résulte de flux migratoires mondiaux, processus infini d’hybridation à un moment de racisme et de xénophobie croissants en Occident.3 La postmodernité, c’est aussi un immense saut vers une tiers-mondisation du "premier" monde alors que le tiers monde lui-même continue d’être exploité; quant à ce que l’on a connu comme "deuxième" monde, le bloc communiste, il s’est effondré, laissant la place à une re-balkanisation de tout le bloc oriental. La postmodernité voit aussi le déclin de l’économie légale et l’ascension du crime et de l’illégalité. Deleuze et Guattari ont baptisé "le capital comme cocaïne" ce phénomène, lequel révèle aussi l’absence de toute visée téléologique du capitalisme tardif, l’absence de direction d’un système qui se perpétue dans la seule brutalité.

Enfin, la postmodernité, c’est aussi l’alliance nouvelle et perversement féconde de la technologie et de la culture. La technologie a évolué du dispositif panoptique analysé par Foucault en termes de surveillance et contrôle, vers quelque chose de beaucoup plus complexe et que Haraway décrit en termes d’ "informatique de la domination". Examiner la question de la technologie au sein de la postmodernité nécessite, par conséquent, un changement de perspective. Au lieu de sembler contraire à l’organisme et aux valeurs humaines, le facteur technologique doit être considéré comme proportionnel et intimement lié à l’humain. Au vu d’une telle imbrication mutuelle, il devient nécessaire de parler de la technologie en tant que dispositif matériel et symbolique, c’est-à-dire en tant qu’agent sémiotique et social parmi d’autres. Ce changement de perspective, que j’ai analysé par ailleurs4 en tant qu’abandon de la technophobie au profit d’une approche plus technophile, redéfinit également les termes des relations entre technologie et art. Si, dans une perpective humaniste conventionnelle, les deux peuvent sembler s’opposer, ils se révéleront beaucoup plus étroitement liés au sein de la postmodernité. Dans tous les domaines, mais spécialement dans la technologie de l’information, la stricte séparation entre le technique et le créatif est rendue superflue par les images digitales et le talent que nécessite le dessin assisté par ordinateur. La nouvelle alliance entre les domaines auparavant séparés du technique et de l’artistique révèle la naissance d’une version contemporaine de la reconstruction post-humaniste d’une techno-culture dont l’esthétique est égale à la complexité technologique. Tout cela pour dire que je souhaite prendre mes distances tant à l’égard de l’euphorie des postmodernistes mainstream qui confisquent la technologie la plus avancée, en particulier le cyberespace, en tant que possibilité de ré-incarnations multiples et polymorphes, qu’à l’égard des nombreux prophètes de malheur qui pleurent le déclin de l’humanisme classique. Pour moi, la postmodernité nous ouvre les portes de positions5 nouvelles et importantes pour la pratique culturelle. L’une des conditions majeures pour de telles positions consiste en l’abandon tant du fantasme des ré-incarnations multiples que de la nostalgie séduisante mais dangereuse.6 Le désir nostalgique d’un passé soi-disant meilleur n’est qu’une réponse hâtive et dépourvue d’intelligence aux défis contemporains. Elle est non seulement culturellement inefficace, dans la mesure où elle se lie aux conditions de sa propre historicité en les niant, mais aussi dans la mesure où elle constitue une simplification abusive de leur complexité. Je considère que la manière dont les sociétés post-industrielles se précipitent têtes baissées sur une solution hâtive à leurs contradictions a quelque chose d’amoral et de complètement désespéré. Cette fuite dans la nostalgie a pour effet immédiat que les modalités de transition d’un monde humaniste en un monde post-humain sont tout simplement ignorées et donc négligées. Que cet aveuglement fondamental trouve sa compensation dans un besoin de sauveurs de tout acabit n’a dès lors rien de surprenant.

Dans ce climat généralisé de déni et de négligence qui marque la crise terminale de l’humanisme classique, je suggère de nous tourner vers des genres littéraires "mineurs" tels la science-fiction et, plus spécialement, le cyber-punk pour trouver des solutions non-nostalgiques aux contradictions de notre époque. Alors que la culture dominante refuse de faire le deuil des certitudes humanistes, des productions culturelles "mineures" placent la crise elle-même à l’avant-plan et soulignent les solutions créatives potentielles qu’elle nous offre. A l’inverse de l’amoralité du déni, les genres culturels "mineurs" cultivent une éthique de la conscience de soi et de la lucidité. Les écrivains de science-fiction comptent parmi les derniers individus les plus moraux de la postmodernité occidentale, en ce qu’ils ne négligent justement pas de s’attarder sur la mort de l’idéal humaniste du "Mann", et en ce qu’ils inscrivent donc cette perte, ainsi que l’insécurité ontologique qu’elle implique, au cœur (inanimé) des préoccupations culturelles contemporaines. En prenant le temps de symboliser la crise de l’humanisme, ces esprits créatifs, suivant en cela Nietzsche, amènent cette crise à son point de dénouement le plus intime. De cette manière, ils placent la mort au premier plan des préoccupations culturelles de la postmodernité, mais ils décapent aussi la couche de nostalgie qui recouvre les insuffisances de l’ordre (du désordre) culturel actuel.

Dans cet article, je suggérerai que des activistes féministes présentes dans la culture et les médias et autres "cyber-féministes" attachées à une politique de la parodie et à la répétition parodique. Quelques-uns parmi ces esprits créatifs se tournent plutôt vers la théorie, d’autres (les écrivains de science-fiction et autres "fabulatrices7" telle Angela Carter) ont choisi le mode fictionnel. Si l’ironie demeure un procédé stylistique majeur, des artistes multimédias électroniques contemporains non-nostalgiques, telles Jenny Holzer, Laurie Anderson et Cindy Sherman, jouent aussi un rôle majeur. Nous trouverons chez elles des compagnes de voyage idéales.

Des corps post-humains.

"Heureusement que je suis née femme, sinon j’aurais été une drag queen." Dolly Parton

La citation de la grande simulatrice8 qu’est Dolly Parton donne le ton de la suite de cette section où je proposerai un survol des représentations du phénomène du cyber-corps d’un point de vue féministe.
Imaginons un instant un triptyque postmoderne: Dolly Parton avec son faux air de beauté sudiste (Southern Belle). A sa droite, ce chef-d’œuvre de reconstruction en silicone qu’est Elizabeth Taylor, avec Michael Jackson en sosie de Peter Pan qui chuchote à côté d’elle. A la gauche de Dolly, Jane Fonda, la fétichiste hyperréelle du fitness, bien installée dans sa phase post-Barbarella en tant que dynamo majeure de l’étreinte cathodique planétaire de Ted Turner. Tel serait le Panthéon de la féminité postmoderne, live 24 heures sur 24 et n’importe où sur CNN, de Hong Kong à Sarajevo, disponible au bout de votre doigt. L’interactivité est un autre nom pour le shopping, comme le dit Christine Tamblyn9, et l’identité de genre hyper-réelle est ce qu’elle vend. Ces trois femmes emblématiques ont plusieurs traits en commun: d’abord, elles habitent un corps posthumain, c’est-à-dire un corps reconstruit artificiellement10. Ce corps est loin d’être d’essence biologique: il est plutôt au carrefour de forces intensives, il est une surface où s’inscrivent des codes sociaux. Depuis que la génération poststructuraliste a repensé un moi non-essentialisé et incarné, nous avons pu nous habituer à la perte de sécurité ontologique qui accompagne le déclin du paradigme naturaliste. Comme l’a formulé Francis Barker11, la disparition du corps est le sommet du processus historique de dé-naturalisation. Subsiste alors le problème de savoir comment ajuster notre politique à ce changement. En conséquence, je suggère qu’il est plus adéquat de parler de notre corps en termes d’incorporation, c’est à dire de corps multiples ou d’ensembles de positions incarnées. Embodiment signifie que nous sommes des sujets en situation, capables d’exécuter des ensembles d’(inter)actions discontinus dans l’espace et le temps. La subjectivité incarnée, incorporée, constitue donc un paradoxe qui repose simultanément sur le déclin historique de la dichotomie corps/esprit et sur la prolifération de discours sur le corps. Foucault a reformulé cette situation comme suit: le paradoxe de la disparition simultanée et de la surexposition du corps. Bien que la technologie rende ce paradoxe manifeste et l’illustre parfaitement, on ne peut prétendre qu’elle soit responsable d’un tel changement de paradigme.

En dépit des dangers de la nostalgie évoqués plus haut, l’espoir vit encore: nous pouvons toujours nous raccrocher à l’intuition folle de Nietzsche lorsqu’il affirmait que Dieu était enfin mort et que l’odeur de son corps pourrissant emplissait le cosmos. La mort de Dieu a mis du temps à venir et a provoqué un effet-domino, entraînant la chute d’un certain nombre de notions familières. La sécurité que garantissait la distinction catégorique du corps et de l’esprit; la foi sécurisante dans le rôle de l’Etat-nation; la famille; l’autorité masculine; l’éternel féminin et l’hétérosexualité obligatoire. Ces vérités fondées sur une métaphysique se sont effondrées au profit de quelque chose de plus complexe, de plus ludique et de bien plus troublant. En tant que femme, donc en tant que sujet émergeant d’une histoire d’oppression et d’exclusion, je dirais que cette crise des valeurs conventionnelles est plutôt positive. En effet, le cadre de la métaphysique a imposé jusqu’à aujourd’hui une conception institutionnelle de la féminité qui a accablé mon genre pendant des siècles. Pour les féministes, la crise de la modernité constitue une ouverture joyeuse vers de nouvelles possibilités, plutôt qu’une descente mélancolique dans le deuil et le déclin. Ainsi, l’hyper-réalité de la condition posthumaine représentée de manière si sublime par Parton, Taylor et Fonda n’exclut ni la politique ni la nécessité d’une résistance politique: elle rend même plus nécessaire encore de travailler à une redéfinition de l’action politique. Rien ne peut être plus éloigné d’une éthique postmoderne que l’affirmation citée à tort et à travers et profondément erronée de Dostoïevski selon laquelle, puisque Dieu est mort, tout est possible. C’est à ce défi que nous devons faire face: comment allier la reconnaissance de l’incarnation (encorporation) postmoderne, à la résistance au relativisme et à la capitulation dans le cynisme.

Deuxièmement, les trois déesses cyborgs évoquées plus haut sont immensément riches parce qu’elles sont stars des médias. A notre époque postindustrielle, les flux financiers immatériels qui circulent sous la forme de données pures dans le cyber-espace avant d’atterrir dans (quelques) comptes bancaires sont essentiels. De plus, le capital s’acharne contre les fluides corporels et en fait le commerce: la sueur et le sang bon marchés de la main-d’œuvre facilement remplaçable, jetable du Tiers-Monde, mais aussi les désirs moites des consommateurs du Premier-Monde qui marchandisent leur existence en une stupeur sur-saturée. L’hyper-réalité n’élimine pas les relations de classes: au contraire, elle les intensifie12. La postmodernité repose sur le paradoxe d’une marchandisation et d’un conformisme simultanés des cultures, tout en intensifiant leurs disparités ainsi que les inégalités structurelles. L’omnipotence des médias visuels constitue un aspect important de cette situation. Notre époque a transformé la visualisation en forme ultime de contrôle entre les mains des fétichistes de la transparence qui ont fait de CNN un verbe: "J’ai été CNN-isé aujourd’hui, pas toi?" Il s’agit là non seulement de l’étape finale de la marchandisation du scopique, mais aussi du triomphe de la vue sur tous les autres sens.13 Ceci est particulièrement préoccupant d’un point de vue féministe, car une hiérarchie des sens tend ainsi à se ré-établir qui privilégie la vue par rapport aux autres sens, en particulier le toucher et l’ouïe. La primauté de la vue a été remise en question par les théories féministes. Sous l’influence de l’œuvre féministe de Luce Irigaray et Kaja Silverman, l’idée d’explorer les potentialités de l’ouïe et des matériaux auditifs s’est imposée en vue d’échapper à la tyrannie du regard. Donna Haraway a des choses très intéressantes à dire à propos de l’emprise logocentrique sur la vue désincarnée, emprise parfaitement illustrée par le satellite/œil dans le ciel. Elle y oppose une redéfinition incarnée et donc responsable de l’acte scopique en tant que forme de mise en relation avec l’objet du regard, et qu’elle définit en termes de "détachement passionné". Si vous examinez l’éventail des pratiques artistiques électroniques contemporaines, en particulier dans le domaine de la réalité virtuelle, vous pourrez apprécier bon nombre d’artistes féminines, telles Catherine Richards et Nell Tenhaaf, qui utilise la technologie pour remettre en question l’hypothèse de la supériorité visuelle qu’elle porte pourtant en elle. Troisièmement, les trois (sic) créatures emblématiques que j’ai choisies pour symboliser le corps postmoderne sont toutes blanches, particulièrement et paradoxalement Michael Jackson. Avec son intelligence perverse, l’arnaqueur hyperréel Jeff Koons (ex-époux de la Ciccioliona, star du porno italienne post-humaine) a représenté Jackson en dieu blanc immaculé de céramique portant un singe dans les bras. Avec panache, Koons a annoncé qu’il s’agissait là d’un hommage à la recherche de Michael Jackson d’un corps toujours plus parfait. Les nombreuses interventions de chirurgie esthétique qu’il a subies illustrent la façon délibérée dont Jackson a sculpté et refait son moi. Dans une conception posthumaine du monde, les tentatives délibérées pour atteindre la perfection sont le complément de l’évolution, conduisant le moi incorporé, incarné à un niveau plus élevé d’accomplissement. La blancheur étant, dans la simplicité sublime de Koons, le critère incontesté et indépassable de la beauté, le statut de superstar de Jackson ne pouvait être représenté que par le blanc. L’hyperréalité n’élimine pas le racisme: elle l’intensifie et le conduit à l’implosion.

L’un des aspects connexes de la racialisation des corps post-humains concerne les valeurs spécifiques à chaque ethnie qu’elle porte en elle. Nombreux sont ceux qui s’interrogent sur la mesure dans laquelle nous sommes en train d’être recolonisés par une idéologie américaine, et plus spécialement californienne, du "body beautiful", du beau corps. Puisque les grandes firmes US possèdent la technologie, elles marquent de leur empreinte l’imaginaire contemporain; ce qui laisse peu de place à toute autre alternative culturelle. Ainsi, les trois emblèmes de la féminité postmoderne, dont le corps discursif est le sujet de ce texte, ne peuvent être qu’américains.

Une politique de la parodie.

Que faire face à une telle situation? Face à ces figures emblématiques d’une hyperféminité blanche, hétérosexuelle, économiquement dominante, imposées par la culture et qui à la fois, rétablit les énormes différences de puissance tout en les niant?

La première chose que puisse faire une critique féministe consiste à reconnaître les apories et les aphasies des cadres théoriques, et à se tourner avec espoir vers les artistes (femmes). Il est indubitable que les esprits créatifs ont une longueur d’avance sur les virtuoses des méta-discours, même et spécialement sur les méta-discours déconstructionnistes. Voilà qui fait réfléchir: après des années d’arrogance théorique post-structuraliste, la philosophie se retrouve à la traîne de l’art et de la littérature de fiction dans la course ardue avec le monde d’aujourd’hui. Peut-être le moment est-il venu de modérer la pulsion théorique en nous et d’essayer de nous confronter à notre contexte historique de façon différente.

Les féministes ont rapidement relevé le défi de trouver des réponses politiques et intellectuelles à cette crise de la théorie. Elles ont en majeure partie pris la forme d’un "virage linguistique", c’est-à-dire un glissement vers des styles de discours où l’imaginaire joue un plus grand rôle. Pour preuve, l’insistance de la théorie féministe sur la nécessité de trouver de nouvelles "figurations", comme l’a formulé Donna Haraway, ou de nouvelles "fabulations", pour citer Marleen Barr, qui permettront d’exprimer les formes différentes de subjectivité féminine qui se sont développées au sein du féminisme, ainsi que la lutte en cours aujourd’hui avec le langage pour produire des représentations affirmatives des femmes.

Toutefois, le défi féministe n’est aussi visible que dans le domaine de la pratique artistique. Par exemple, la force ironique, la violence à peine cachée et l’esprit corrosif de groupes féministes tels que les Guerilla ou les Riot Girls illustrent un aspect important de la re-situation contemporaine de la culture et de la lutte pour la représentation. Je définirais leur position en termes d’une politique de la parodie. Les Riot Girls affirment que nous sommes en guerre et que les femmes ne sont pas pacifistes: nous sommes les filles de la guerilla, les émeutières, les méchantes. Nous voulons mettre sur pied une forme de résistance active, mais nous voulons aussi nous amuser et agir à notre manière. Le nombre toujours croissant de femmes qui écrivent leurs propres science-fiction, cyberpunk, scénarios de films, magazines, musique rock ou rap, etc., témoigne de ce nouveau mode.

Celui-ci, tel qu’exposé par les Riot et Guerilla Girls, est clairement marqué par la violence, par quelque chose de direct, de cru, qui contraste brutalement avec le ton syncopé de la critique artistique classique. Ce style violent est une réponse à des forces sociales et environnementales hostiles. Il exprime aussi le besoin d’un lien collectif par des rituels et des actes ritualisés, lesquels accentuent la singularité impénitente de l’individu au lieu de faire disparaître celui-ci dans le groupe. J’ai trouvé une évocation puissante de cette position à la fois singulière et partagée collectivement dans le rythme tumultueux, démoniaque de In Memoriam to Identity14 de Kathy Acker, dans son don pour les devenirs multiples, son goût pour la réversibilité des situations et des personnages: sa capacité limite pour se faire passer pour d’ "autres", pour imiter ou "traverser" une infinité d’autres. Comme bon nombre de théoriciennes féministes l’ont fait remarquer, la pratique de la parodie, que j’appellerai aussi la "philosophie du comme si", avec ses répétitions ritualisées, doit avoir un fondement pour être politiquement efficace. Les revendications d’un savoir féministe postmoderne trouvent leur fondement dans le vécu et, par conséquent, caractérisent les formes radicales de encorporations (réincarnations). Mais elles se doivent aussi d’être dynamiques - ou nomades - et de permettre des déplacements et la multiplicité.
La pratique du "comme si" peut aussi dégénérer en un mode de représentation fétichiste. Celui-ci consiste à la fois en une reconnaissance et un déni de certains attributs ou de certains vécus. Dans la pensée postmoderne masculine15, le déni fétichiste semble caractériser la plupart des débats sur la différence sexuelle16. Je considère la théorie féministe comme un correctif à cette tendance. La philosophie féministe "du comme si" n’est pas une forme de désaveu, mais bien l’affirmation d’un sujet à la fois non-essentialisé (c’est à dire qui n’est plus fondé sur l’idée d’une "nature" humaine ou féminine), mais apte à se faire agent éthique et moral. Comme nous en avertit lucidement Judith Butler, la puissance du mode parodique réside précisément en sa capacité à transformer la pratique des répétitions en une position porteuse d’un pouvoir politique. En quoi la pratique théorique et politique du "comme si" est-elle porteuse de pouvoir? A mon avis, en ce qu’elle permet potentiellement d’ouvrir des espaces où des formes d’action féministe sont rendues possibles, et ce par des répétitions successives et des stratégies d’imitation. En d’autres termes, la parodie peut être porteuse de pouvoir politique à condition d’être soutenue par une conscience critique qui vise à la subversion des codes dominants. Ainsi, j’ai pu défendre l’idée17 que la stratégie de la "mimesis" chez Luce Irigaray est porteuse de pouvoir car elle touche simultanément à des questions d’identité, d’identifications et de subjectivité politique. Le mode ironique est une forme orchestrée de provocation et, en tant que telle, elle désigne une sorte de violence symbolique dont les Riot Girls sont les maîtresses incontestées.

J’en ai assez que la technologie de la Réalité Virtuelle et le cyberespace soient des jouets pour les garçons. La vue de hippies recyclés et vieillissants qui, n’ayant pu se débarrasser de leurs habitudes narcotiques des années 60, ont simplement décidé de faire de la vidéo et des ordinateurs de nouvelles drogues m’amuse un peu et m’ennuie beaucoup. Il ne s’agit là que de la transposition d’un plaisir solipsiste en un autre. Moi, l’une des Riot Girls, l’une des méchantes, l’une des vilaines, je veux mon propre imaginaire, mon propre moi projeté; je veux créer un monde à ma propre image glorifiée. Le moment est venu du mariage sacrilège de l’Ariane de Nietzsche et des puissances dyonisiaques; le moment est venu pour que le désir de mort féminin puisse s’exprimer en créant des réseaux opérationnels qui traduiront le désir féminin en formes socialement négociables de comportement. Le moment est venu d’une nouvelle donne entre l’histoire et l’inconscient.
La métaphore de la guerre est en train d’envahir notre imaginaire culturel et social, de la musique rap au cyberespace. Prenons l’exemple de la musique populaire. D’abord, il faut être conscient du déclin du rock’n’roll en tant que force politique subversive, déclin qui se manifeste dans deux phénomènes parallèles: l’un est la résurrection de ce que j’appelle le "rock gériatrique", c’est à dire les retours sans cesse recommencés des Rolling Stones et autres reliques du "cock rock" des années 6018. A quand la retraite? L’autre phénomène est bien plus problématique: il s’agit de l’exploitation militaire du rock’n’roll par l’armée américaine. Initié au Vietnam, l’emploi du rock’n’roll comme arme d’assaut s’est perfectionné lors de l’attaque contre Noriega au Panama19.
A présent, le rap a pris le relais et les images masculinistes bellicistes du "gangsta rap" ont envahi le rap. Mais il suffit d’écouter le groupe de rap féminin Salt’n’Pepper pour devoir remettre en question le lien inévitable entre musique subversive et masculinité agressive. Oui, les filles deviennent enragées; nous voulons nos cyber-rêves, nous voulons nos propres hallucinations et les partager. Gardez votre gore sanguinolent. Ce qui nous importe, c’est de prendre possession du cyberespace afin de quitter le vieux cadavre pourrissant, séduit, enlevé et abandonné du patriarcat phallocentrique; les escadrons de la mort du phallus, le corps obsédé par l’argent, gonflé à la silicone de la phallocratie militante et de son autre féminin annexé et indexé. Les Riot Girls savent qu’elles peuvent faire mieux.

L’écriture créative dans le mode fictionnel est un autre exemple de politique de la parodie. A l’époque de la postmodernité, l’écriture n’est pas seulement un processus de traduction continuelle, mais aussi d’adaptations successives à différentes réalités culturelles. Cette idée a été énergiquement soulignée par l’écrivain vietnamo/californienne Trinh Minh Ha, laquelle a suivi la relecture par Deleuze des forces dyonisiaques de Nietzsche et parle "d’écriture en intensité". Ainsi, l’écriture caractérise une forme intransitive du devenir: par exemple, le type de devenir qui intensifie le niveau de créativité joyeuse et de plaisir.

L’art de la performance chez Laurie Anderson est un exemple intéressant de devenir intransitif par un style parodique efficace. Maîtresse inégalée du mode "comme si" d’expression créative20, Laurie Anderson propose un univers conceptuel où les situations et les personnages sont toujours réversibles. Ce qui permet à Anderson de décrire un type high-tech de continuum entre différents niveaux d’expérience. Ce qui, à son tour, constitue son talent extraordinaire pour évoquer la complexité sur le mode minimaliste. Les interventions dans des espaces publics représentent également un aspect important de ce type de sensibilité artistique. Par exemple, les grands panneaux d’affichage de Barbara Krueger sont placés stratégiquement à des carrefours importants au cœur des métropoles du monde occidental. Ils clament bien haut que "Nous n’avons pas besoin de nouveau héros" 21 En ces temps de décadence post-industrielle de l’espace urbain, des artistes comme Krueger parviennent à rendre à l’œuvre d’art la valeur monumentale qui était sa prérogative autrefois, tout en conservant sa nature politiquement engagée. De même, les panneaux électroniques de Jenny Holzer se détachent en clignotant du décor de nos cités envahies par la publicité pour transmettre des messages de sensibilisation très politisés: "L’argent qui fait le goût", "la propriété a engendré le crime", "la torture est barbare", etc22. Holzer utilise aussi les espaces des aéroports, en particulier les panneaux d’information au bord des tapis roulants à bagages, afin de transmettre ses messages percutants, tel "le manque de charisme peut entraîner la mort" ou, plus ironique, "si vous aviez bien agi, les communistes n’existeraient pas", "quel pays choisirez-vous si vous détestez les pauvres?". Krueger et Holzer illustrent parfaitement l’appropriation postmoderne, intelligente et non-nostalgique des espaces urbains et publics dans un but créatif et politique. Dans leurs mains, la ville comme zone de transit, de passage, devient un texte, un espace signifiant, chargé de signes et de signaux qui indiquent une multitude de directions, auxquels l’artiste ajoute les siens, plus inattendus et dérangeants. Les Guerilla Girls agissent de la sorte depuis des années, et avec grand talent.

Les espaces publics en tant que sites de créativité mettent en relief un paradoxe: ils sont à la fois chargés de signification et profondément anonymes; ce sont des espaces de passage et de détachement, mais aussi des lieux d’inspiration, d’intelligence visionnaire, qui engendrent une grande créativité. L’oeuvre expérimentale de Brian Eno, "Music for airports" exprime avec force la même chose: ici aussi, l’artiste s’approprie créativement le cœur mort de ces zones un peu hallucinantes que sont les lieux publics.

Le pouvoir de l’ironie.

L’ironie constitue l’une des formes qu’a prises la pratique culturelle féministe du "comme si". L’ironie est une saine dose de démystification/démythification appliquée systématiquement: c’est dégonfler constamment, c’est refroidir la surchauffe rhétorique. Une réponse possible à la nostalgie généralisée de la culture dominante ne peut se résumer, elle ne peut que se pratiquer:
Nulle fin de siècle spectaculaire pour nous, unités statistiques contemporaines. Nul retour théâtral à la lumière du jour. Nous sommes la génération anti-Lazare de l’ère post-chrétienne. Nul cri d’alarme. Nulle larme. Les principes de la photocopie (la reproduction distraite et éternelle du Même) se sont substitués à l’ère tragique de la suspension esthétique. Walter Benjamin et Nietzsche, IBM et Rank-Xerox, main dans la main.
Assise dans une obscurité post-Becket, j’ai perdu mon dernier fragment de complétude. J’ai eu l’impulsion d’attendre, d’attendre que viennent les particules accélérées. Rien de bien tragique, juste la lumière de la raison, bleue et froide comme l’acier qui nous réduit à l’insignifiance. La vie comme un désir brûlant de retourner au non-être, une abnégation vivante. L’amour est mort dans Metropolis. Ma voix est sèche et s’éteint déjà. Ma peau devient parchemin, toujours plus rugueuse à chaque clic du cerveau digital. Le complot kafkaïen s’insinue dans mon dispositif génétique. Je serai bientôt un insecte géant et je mourrai après ma prochaine tentative de copulation.
C’est ainsi que finira le monde, mon amour d’outre-tombe, pas sur un boum mais sur le murmure bourdonnant d’insectes qui rampent sur un mur. Les araignées aux longues pattes de mon mécontentement, mon cœur: la joie d’un cafard. S(t)imuler, dissimulation. Ils n’ont pu conserver une marge de négociation, n’ont jamais quitté la cible, jusqu’à nous déstabiliser, ramenant au centre la péiphérie, et le projectile en nous frappant nous fit perdre tout équilibre. Aphasiques. Si beau, toujours si beau qu’il me fit languir pour le dix-neuvième siècle, avant que Dieu ne meure. Cela devait être agréable de dire: "Dieu, c’est vrai!" et de ne pas être tiraillé entre les probabilités.
Ce n’est pas que je me préoccupe de la perte du narratif classique. Lyotard nous dit tout sur la modernité et la crise de la légitimation. Je ne m’inquiète pas de ne pas pouvoir me reposer sur un seul lambeau de cohérence discursive. Conceptuellement, c’est plutôt une position stimulante, riche de potentiel étymologique, et pourtant je sais que: j’ai déjà donné pour tout ceci. Profond dans le cœur du trou béant de mon cœur je pleure la perte de la grandeur métaphysique, je pleure la mort de l’amour divin. Le sublime me manque, tandis que nous plongeons tête la première dans le ridicule.
Oui, le monde aura une fin, mon ami post-Zarathoustrien. Il s’éteindra telle une bougie très courte. La mort est un art et il faut avoir un don pour cela. Et tu le fais exceptionnellement bien, tellement bien qu’on dirait l’enfer, qu’on dirait que c’est réel. Nous tuons le temps c’est tout. J’espère que tu te tueras à temps. Capitulation inconditionnelle, o Hiroshima mon amour, mon Enola Gay très exclusive. Quel œil immortel a attiré ta dissymétrie époustouflante? Quelle injection d’angoisse post-heideggerienne, quelle fuite nucléaire mortelle t’a traumatisé au point que tu sois dans un tel état d’ incompétence émotionnelle? Quand t’es-tu transformé en une telle machine autiste, une collection de circuits non intégrés? Où ton désir de mort a-t-il été, mon compagnon de voyage post humain?
Nu, tu es un fil électrisant. A peine un moi, une entité, un individu dans n’importe quel vieux sens humaniste du terme. Heraclite revisité par Deleuze, tu personnalises le sujet moderne décapité. Tu t’es déclaré pur devenir, mais tu étais juste un simple reflet, une image synthétique animée -uni- dimensionnelle et pourtant multi- fonctionnelle.
Est ce ainsi que l’on doit lire les machines désirantes de Deleuze? Est ce vers cela que Lyotard se dirige? Et Baudrillard avec son hyper-réalité et son simulacre? Ou s’agit il seulement de métaphores complexes de la faillite métabolique que nous traversons? Tous ces discours nécrophiles me rendent évidemment nerveuse et si vous aviez mon cerveau vous seriez nerveux aussi. Je suis un humain, sexué, être mortel de sexe féminin, doté Le pouvoir de l’ironie.

L’ironie constitue l’une des formes qu’a prises la pratique culturelle féministe du "comme si". L’ironie est une saine dose de démystification/démythification appliquée systématiquement: c’est dégonfler constamment, c’est refroidir la surchauffe rhétorique. Une réponse possible à la nostalgie généralisée de la culture dominante ne peut se résumer, elle ne peut que se pratiquer:
Nulle fin de siècle spectaculaire pour nous, unités statistiques contemporaines. Nul retour théâtral à la lumière du jour. Nous sommes la génération anti-Lazare de l’ère post-chrétienne. Nul cri d’alarme. Nulle larme. Les principes de la photocopie (la reproduction distraite et éternelle du Même) se sont substitués à l’ère tragique de la suspension esthétique. Walter Benjamin et Nietzsche, IBM et Rank-Xerox, main dans la main.
Assise dans une obscurité post-Becket, j’ai perdu mon dernier fragment de complétude. J’ai eu l’impulsion d’attendre, d’attendre que viennent les particules accélérées. Rien de bien tragique, juste la lumière de la raison, bleue et froide comme l’acier qui nous réduit à l’insignifiance. La vie comme un désir brûlant de retourner au non-être, une abnégation vivante. L’amour est mort dans Metropolis. Ma voix est sèche et s’éteint déjà. Ma peau devient parchemin, toujours plus rugueuse à chaque clic du cerveau digital. Le complot kafkaïen s’insinue dans mon dispositif génétique. Je serai bientôt un insecte géant et je mourrai après ma prochaine tentative de copulation.
C’est ainsi que finira le monde, mon amour d’outre-tombe, pas sur un boum mais sur le murmure bourdonnant d’insectes qui rampent sur un mur. Les araignées aux longues pattes de mon mécontentement, mon cœur: la joie d’un cafard. S(t)imuler, dissimulation. Ils n’ont pu conserver une marge de négociation, n’ont jamais quitté la cible, jusqu’à nous déstabiliser, ramenant au centre la péiphérie, et le projectile en nous frappant nous fit perdre tout équilibre. Aphasiques. Si beau, toujours si beau qu’il me fit languir pour le dix-neuvième siècle, avant que Dieu ne meure. Cela devait être agréable de dire: "Dieu, c’est vrai!" et de ne pas être tiraillé entre les probabilités.
Ce n’est pas que je me préoccupe de la perte du narratif classique. Lyotard nous dit tout sur la modernité et la crise de la légitimation. Je ne m’inquiète pas de ne pas pouvoir me reposer sur un seul lambeau de cohérence discursive. Conceptuellement, c’est plutôt une position stimulante, riche de potentiel étymologique, et pourtant je sais que: j’ai déjà donné pour tout ceci. Profond dans le cœur du trou béant de mon cœur je pleure la perte de la grandeur métaphysique, je pleure la mort de l’amour divin. Le sublime me manque, tandis que nous plongeons tête la première dans le ridicule.
Oui, le monde aura une fin, mon ami post-Zarathoustrien. Il s’éteindra telle une bougie très courte. La mort est un art et il faut avoir un don pour cela. Et tu le fais exceptionnellement bien, tellement bien qu’on dirait l’enfer, qu’on dirait que c’est réel. Nous tuons le temps c’est tout. J’espère que tu te tueras à temps. Capitulation inconditionnelle, o Hiroshima mon amour, mon Enola Gay très exclusive. Quel œil immortel a attiré ta dissymétrie époustouflante? Quelle injection d’angoisse post-heideggerienne, quelle fuite nucléaire mortelle t’a traumatisé au point que tu sois dans un tel état d’ incompétence émotionnelle? Quand t’es-tu transformé en une telle machine autiste, une collection de circuits non intégrés? Où ton désir de mort a-t-il été, mon compagnon de voyage post humain?
Nu, tu es un fil électrisant. A peine un moi, une entité, un individu dans n’importe quel vieux sens humaniste du terme. Heraclite revisité par Deleuze, tu personnalises le sujet moderne décapité. Tu t’es déclaré pur devenir, mais tu étais juste un simple reflet, une image synthétique animée -uni- dimensionnelle et pourtant multi- fonctionnelle.
Est ce ainsi que l’on doit lire les machines désirantes de Deleuze? Est ce vers cela que Lyotard se dirige? Et Baudrillard avec son hyper-réalité et son simulacre? Ou s’agit il seulement de métaphores complexes de la faillite métabolique que nous traversons? Tous ces discours nécrophiles me rendent évidemment nerveuse et si vous aviez mon cerveau vous seriez nerveux aussi. Je suis un humain, sexué, être mortel de sexe féminin, doté de langage. Appelez moi juste- femme.

Regards féministes sur la science fiction

La situation difficile du post humain implique le brouillage des frontières des genres. Pourtant, ceci n’avantage pas toujours les femmes. De nombreuses féministes se sont tournées simultanément vers l’écriture et la lecture de science fiction afin d’essayer d’évaluer l’impact du nouveau monde technologique sur la représentation de la différence sexuelle. Tous les adeptes savent que la science fiction se rapporte à des fantasmes qui concernent le corps, plus particulièrement la fonction reproductrice du corps. La science fiction offre des systèmes alternatifs de reproduction et de naissance, qui vont de l’image plutôt enfantine de bébés nés dans des choux-fleurs, à des naissances monstrueuses par d’innomables orifices. Ceci donnant naissance à ce que Barbara Creed définit comme le syndrome du féminin monstrueux.23 Ainsi ce n’est pas une coïncidence si dans Alien, un classique du genre, l’ordinateur central contrôlant le vaisseau spatial est appelé "Mère" et qu’il soit vicieux, particulièrement vis à vis de l’héroïne (Sigourney Weaver). Dans ce film la fonction maternelle est déplacée: elle se reproduit comme un insecte monstrueux en déposant des œufs dans les estomacs des gens, par le biais d’un acte de pénétration phallique au travers de la bouche. Le film regorge également de scènes d’éjection de plus petits vaisseaux ou avions du monstrueux et hostile engin spatial matriarcal. Mère est une toute puissante force génératrice, pré-phallique et malfaisante: elle est une abysse non représentable de laquelle provient toute vie et mort.

Dans la lignée des analyses critiques féministes de la science fiction, je soutiens que les films de science fiction d’épouvante jouent avec les anxiétés mâles fondamentales et les déplacent en inventant une théorie de la reproduction, ce qui a pour conséquence la manipulation de l’image du corps féminin. Selon Julia Kristeva, le côté "horreur" de ces films joue sur une fonction "maternelle" déplacée et fantasmée, comme détenant simultanément la clé des origines de la vie et de la mort. Exactement comme la tête de la Méduse, l’horrible femelle peut être conquise en étant transformée en emblème, c’est-à-dire en devenant fétichisée.24

Certaines des formes de procréation post humaine qui sont explorées dans les films de science/fiction sont: le clonage (The Boys from Brazil); la parthénogenèse (The Gremlins). Un autre thème consiste à faire féconder les femmes par les aliens, comme dans le classique des années 50 ‘I married a monster from outer space’, ‘Village of the Damned’, et les drames psychologiques tels que Rosemary’s Baby. La production de l’humain en tant que machine est aussi assez populaire; (Inseminoid, The Man Who Folded Himself), ce qui implique des rapports femme/machine (comme une variation femme/diable) (Demon Seed, Inseminoid). En fait, Spielberg est le maître des fantasmes mâle-naissance. Le film Indiana Jones en est l’exemple parfait: il n’y a pas de mère en vue, jamais, mais Dieu le père est omniprésent. La série qu’il a produite, Back to the Future, traite de manière totale et prolongée le fantasme du garçon adolescent d’être à l’origine de sa propre existence. Modleski fait remarquer que dans la culture contemporaine il est évident que les hommes flirtent définitivement avec l’idée d’avoir eux-mêmes des bébés. Ils le font de manière assez naïve, notamment en expérimentant des formes sociales nouvelles et bien sûr positives de nouvelle paternité.25

A l’époque postmoderne, cette anxiété mâle au sujet du père absent doit toutefois être lue parallèlement aux nouvelles technologies de reproduction. La femme est remplacée par l’appareil technologique- la machine- dans une version contemporaine du mythe de Pygmalion, une sorte de "My Fair Lady" high-tech.26

Si on observe la reconstruction contemporaine de la féminité et de la masculinité au travers de la culture des médias, on ne peut s’empêcher d’être frappé par son manque d’inspiration. Prenons par exemple la masculinité à la mode soit de Cameron-Schwarzenegger ou de Cronenberg. Cameron et Cronenberg sont les grand reconstructeurs du sujet masculin post humain. Ils représentent deux courant opposés: Cameron plonge profondément dans ce que Nancy Hartsock appelle "la masculinité abstraite" en proposant un corps masculin hyperréaliste au format Schwarzenegger. Cronenberg, au contraire, fait exploser la masculinité phallique dans deux directions divergentes: d’un côté le tueur en série psychopathe et de l’autre la névrose hystérique du mâle sur-féminisé. La dernière est aussi célébrée par les intellectuels Arthur et Marielouise Kroker établis à Toronto.

Dans le cyber-punk, le thème de la mort et le rituel de la mise en terre du corps est tellement omniprésent qu’il se substitue au facteur de procréation. Nous savons tous à quel point la culture cyber-punk est dominée par la masculinité, si bien que dire qu’elle reflète les fantasmes masculins et plus particulièrement le désir de mort masculin, serait bien en dessous de la vérité. Le cyber-punk rêve de la dissolution du corps dans la matrice (comme dans la "mater" ou la matrice cosmique ), dans ce qui m’apparaît être le retour climactique final d’un petit garçon dans le récipient organique et en perpétuelle expansion de Big Mama. Je trouve de telles images du cosmos très bâclées, littéralement, mais aussi vraiment essentielles dans leur manière de dresser le portrait de la force cosmique de la mère archaïque en tant que tout puissant récipient des forces de vie et de mort. La différence sexuelle comprise en tant que dissymétrie a une fois de plus pour résultat différentes positions sur le sujet de la mère archaïque. Nous, les riot girls, qui avons été persécutées, harcelées et oppressées par Big Mama toute notre vie; nous qui avons dû résister à Mama et la chasser hors des noirs replis de notre psychisme, nous avons une toute autre histoire à raconter. La fameuse recommandation formelle de Virginia Woolf selon laquelle la femme créative a besoin de tuer "l’ange dans la maison" qui habite les couches les plus anciennes de son identité est tout à fait fondée. Il s’agit de l’image de la douce femme bienveillante, nourricière, qui se sacrifie, qui se met en travers de sa propre réalisation. On ne peut pas attendre des femmes qu’elles partagent aussi facilement le fantasme du retour à la matrice, au contraire, nous voulons en sortir, et vite. Nous, les riot girls voulons nos propres rêves de dissolution cosmique, nous voulons notre propre dimension transcendantale. Gardez vos propres rêves de matrices: votre désir de mort n’est pas notre désir de mort, vous feriez mieux de nous laisser l’espace et le temps pour développer et exprimer mes propres désirs, sinon nous nous fâcherons pour de bon. La colère nous poussera à vous punir en décidant de réaliser, dans nos vies quotidiennes réelles, vos pires fantasmes de femmes odieuses. Comme disait cette autre grande simulatrice, Bette Midler: "Je suis tout ce que tu avais peur que ta petite fille soit en grandissant- et ton petit garçon!"

En d’autres termes, en tant que femme féministe qui a pris ses distances avec la féminité traditionnelle et qui a donné naissance à de nouvelles formes de subjectivité, une riot girl sait utiliser à bon escient la politique de la parodie/ elle peut incarner l’identité, la féminitude à sa manière extrême et extrêmement agaçante. Afin d’éviter de telles explosions de colère de femme féministe nous devrions prendre le temps d’en discuter pour négocier les marges de tolérance mutuelle.

Le cyber-imaginaire

Tandis que ce genre de négociation prend place, la discrimination entre les hommes et les femmes quant à l’utilisation des ordinateurs, l’accès au savoir informatique, à l’équipement internet et à d’autres équipements technologiques coûteux, ainsi que leur participation à la conception et au développement des technologies augmentera de plus en plus. De la même façon, le fossé entre le monde industrialisé et le tiers monde en termes d’accès aux technologies s’élargira aussi. C’est toujours aux époques de grands progrès technologiques que la culture occidentale réitère certaines de ses habitudes les plus persistantes, notamment la tendance à produire de la différence et à l’organiser hiérarchiquement.

Ainsi, tandis que l’informatique semble faire la promesse d’un monde au-delà des différences sexuelles le fossé entre les sexes s’élargit. Tout ce bavardage autour d’un monde télématique neuf masque l’augmentation continue de la polarisation des ressources et des moyens, dont les femmes sont les principales victimes. Ce qui donne à penser que le changement des frontières conventionnelles entre les sexes et la prolifération de toutes sortes de différences par le biais des nouvelles technologies ne seront pas aussi libérateurs que ce que veulent nous faire croire les fanatiques d’internet et les cyber-artistes. Dans l’analyse de la cyber-imagination contemporaine, la production culturelle qui entoure les technologies de réalité virtuelle se caractérise par un réel conçu par ordinateur particulièrement avancé, utile dans ses applications médicales et architecturales, mais très pauvre sous l’angle de l’imagination, plus spécifiquement si on la considére en terme de rôles sexuels. Le dessin assisté par ordinateur et l’animation ont un potentiel de grande créativité, pas uniquement dans des secteurs professionnels tels que l’architecture et la médecine, mais aussi dans la culture des loisirs, plus particulièrement dans les jeux vidéo. Ils trouvent leur source dans la technologie d’apprentissage des pilotes d’ avions de combat. La guerre du Golfe a été menée par de la machinerie de réalité virtuelle (cela n’a pas empêché la boucherie habituelle). Dernièrement, le coût de la production d’équipement de réalité virtuelle a baissé, à tel point que d’autres personnes que la NASA peuvent y avoir accès.

Les chercheuses féministes dans ce domaine ont remarqué les paradoxes et les dangers des formes contemporaines d’acorporalité, qui accompagnent ces nouvelles technologies. Je suis particulièrement frappée par la persistance des images pornographiques, violentes et humiliantes, de femmes qui circulent dans ces soi-disant "nouveaux" produits technologiques. La conception de programmes qui permettent "le viol virtuel et le meurtre virtuel" est spécialement inquiétantes. Par exemple le Lawn Mower Man est un des films grand public qui comporte des images de "réalité virtuelle", qui sont en fait seulement des images numériques. Je trouve qu’il fait un usage très médiocre d’ images fortes. Le sujet du film est le suivant: un savant travaillant pour la NASA a inventé des technologies très avancées pour manipuler l’esprit, il utilise d’abord un chimpanzé comme objet d’expériences scientifiques qu’il remplace ensuite par un handicapé mental, dont le cerveau "grandit" grâce à cette nouvelle technologie.

Les images de pénétration du cerveau sont cruciales pour l’impact visuel du film: il s’agit uniquement "de s’ouvrir" à l’influence d’une puissance plus grande. On peut comparer ceci aux corps masculin invaginé de Cronenberg, pénétrés par les radiations du tube cathodique de Videodrome et plus récemment à l’implant cervical dans Johnny Memonic. Grâce à cette technologie, l’homme retardé s’épanouit d’abord en un garçon normal, puis se transforme en un personnage surhumain. La reconstruction de la masculinité dans ce film montre l’évolution suivante: idiot/petit garçon/adolescent/cow-boy/qui perd sa virginité/amant terrible/macho/violeur/assassin/tueur en série/psychopathe. Le film questionne implicitement l’interaction de la sexualité et des technologies, toutes deux en tant que formes de pouvoir masculin et masturbatoire. A un stade intermédiaire de son développement, il revendique qu’il peut voir Dieu et il veut partager cette expérience avec sa copine, afin de lui procurer l’orgasme ultime. Ce qui suit est une scène de viol psychique, où la femme est littéralement explosée et perd la tête. A partir de là, la femme sera folle, tandis que le garçon progresse et devient une figure quasi divine, un tueur en série, et finalement une force de la nature. Par conséquent tandis que l’esprit masculin voit puis devient Dieu, celui de la femme est simplement montré en train de craquer sous la pression.

Face à cela, une féministe ne peut s’empêcher d’être frappée par la persistance des stéréotypes sexuels et des tendances misogynes. Le prétendu triomphe des hautes technologies ne s’est pas accompagné d’un saut de l’imagination humaine qui créerait de nouvelles images et représentations. Au contraire, ce que je remarque c’est la répétition de très vieux thèmes et de clichés, sous l’apparence de "nouvelles" avancées technologiques. Ce qui prouve simplement qu’il faut plus que des machines pour vraiment transformer les schémas de pensée et les habitudes mentales. La fiction de la science qui est le thème des films et de la littérature de science fiction, doit faire appel à plus d’imagination et plus d’égalité entre les sexes afin de s’approprier une "nouvelle" représentation d’une humanité post-moderne. A moins que notre culture relève le défi et invente de nouvelles formes d’expression appropriées, cette technologie est inutile. Une des grandes contradictions des images virtuelles est qu’elles émoustillent notre imagination, promettant les monts et merveilles d’un monde libéré des questions de genre quand simultanément il reproduit quelques-unes des images plates, les plus banales imaginables de l’identité sexuelle, mais aussi des relations sociales et raciales. Les images virtuelles titillent aussi notre imagination, à la manière de la représentation dans la pornographie. L’imagination est un espace très connoté sexuellement et l’imagination de la femme, comme l’a dit la théoricienne féministe du cinéma Doane, a toujours été représentée comme une embarrassante et dangereuse qualité.27 La pauvreté imaginaire de la réalité virtuelle est encore plus frappante si on la compare à la créativité de certaines des artistes femmes que j’ai évoqué plutôt. Par comparaison, la banalité, le sexisme, la nature répétitive des jeux vidéos conçus par ordinateur sont tout à fait consternantes. Comme d’habitude, à une époque de grands changements et bouleversements, le potentiel de la "nouveauté" engendre de grandes peurs, de l’anxiété et dans certains cas même de la nostalgie pour le régime précédent. Comme si la misère imaginaire ne suffisait pas, la post-modernité est caractérisée par un impact très étendu et par une invasion qualitative de la pornographie dans toutes les sphères d’activité culturelle. La pornographie parle de plus en plus des relations de pouvoir et de moins en moins de sexe. Dans la pornographie classique le sexe était un véhicule pour les relations de pouvoir.

De nos jours n’importe quoi peut leur servir de véhicule: la culture en devenir de la pornographie montre que n’importe quelle activité ou produit culturel peut devenir une matière première et au travers de ce processus exprimer des inégalités, des schémas d’exclusion, des fantasmes de domination, des désirs de pouvoir et de domination.28 Le point central reste qu’il y a un écueil de crédibilité entre les promesses de la Réalité virtuelle, du cyberespace, et la qualité de ce qu’ils offrent. Par conséquent il me semble qu’à court terme cette nouvelle frontière technologique va intensifier l’écart entre les sexes et augmenter leur polarisation. Nous sommes revenus à la métaphore guerrière, mais elle prend place dans le monde réel, pas dans l’hyper-espace de la masculinité abstraite. Et ses protagonistes ne sont pas des images numériques, mais les agents sociaux réels des contextes urbains post-industriels.

La stratégie la plus efficace pour les femmes consisterait à utiliser la technologie pour libérer notre imagination collective du phallus et de ses valeurs accessoires: l’argent, l’exclusion, la domination, le nationalisme, la féminité iconique et la violence systématique.

Le besoin de nouvelles utopies

Un bond qualitatif est aussi nécessaire, néanmoins, vers l’affirmation de la différence sexuelle en termes de reconnaissance de la relation dissymétrique entre les sexes. Les féministes ont rejeté la tendance universalisante qui consiste à confondre le point de vue masculin avec l’ "humain", confinant par là le "féminin" à la position structurelle de "l’autre" dévalorisé. Cette division du travail social et symbolique signifie que le fardeau de la différence dévalorisée repose sur certains référents empiriques qui peuvent être définis en opposition à la norme dominante comme: non-homme, non-blanc, non-propriétaire, ne s’exprimant pas dans une langue dominante, etc…

Cette organisation hiérarchique des différences est la clé du phallologocentrisme, qui est le système interne des sociétés patriarcales. Dans ce système, les femmes et les hommes sont dans des positions diamétralement différentes: les hommes sont réunis par la position universelle et par conséquent sont confinés à ce que Hartsock définit comme une "masculinité abstraite". Les femmes, au contraire, sont coincées par la spécificité de leur sexe comme étant le "second sexe". Comme l’observait de Beauvoir: le prix que les hommes payent pour représenter l’universel est la perte de la corporalité, ou la perte de spécificité sexuée dans l’abstraction de la masculinité phallique. Le prix à payer pour les femmes, par contre, est la perte de la subjectivité au travers de la surcorporalité et le confinement à leur identité sexuée. Ce qui mène à deux positions dissymétriques et produit deux stratégies politiques divergentes quant il s’agit de chercher des alternatives. Les parcours du masculin et du féminin pour transcender le contrat phallogocentrique socio-symbolique différent considérablement. Alors que les femmes ont besoin de se réapproprier la subjectivité en réduisant leur aliénation au corps, en posant la question de la déconstruction du corps, les hommes par contre ont besoin de reprendre possession de leur moi physique abstrait en perdant certains de leurs droits exclusifs à la connaissance transcendantale. Les hommes ont besoin d’être corporalisés, de devenir réalistes, de souffrir la douleur de l’inscription dans un corps, c’est à dire de l’incarnation.

Un exemple splendide de ce processus est la chute des anges des hauteurs excessives du ciel de Berlin dans le film de Wim Wenders: Der Himmel über Berlin. Lorsque les anges choisissent le chemin de l’incarnation, la douleur qui en résulte est rendue avec une grande sensibilité. Dans sa lecture assez spirituelle de l’angoisse Teutonique du film, bell hooks a astucieusement observé la nature spécifiquement culturelle d’un tel exercice.29 Elle montre très justement le caractère typiquement occidental de l’envol du corps hors du corps et de la création apparentée de la masculinité abstraite en tant que système de domination d’"autres" multiples. Dans son compte-rendu également spécifiquement culturel sur le besoin d’une révision du contrat phallogocentrique socio-symbolique (sic). Néanmoins, Julia Kristeva insiste sur le besoin d’une redéfinition de la place du corps de la femme dans ce système. J’aimerais indiquer par conséquent qu’il est capital de ne pas oublier dans le contexte d’une discussion sur le cyber-espace que la dernière chose dont nous ayons besoin à ce stade de l’histoire occidentale est un renouvellement du vieux mythe de la transcendance en tant qu’envolée hors de son corps. Comme le dit Linda Dement: un petit peu moins d’abstraction serait souhaitée.30 La transcendance en tant que décorporation reproduirait simplement le modèle patriarcal classique, qui a consolidé la masculinité en tant qu’abstraction rendant par conséquent indispensable les catégories sociales des "autres incarnés". Ce serait une négation de la différence sexuelle comprise comme dissymétrie de base entre les sexes.

Dans le projet d’exploration de la dissymétrie entre les sexes, je voudrais insister fortement sur l’importance du langage, plus particulièrement en lumière de la théorie psychanalytique. Par ce moyen, je veux aussi prendre mes distances avec la psychologie simpliste et le cartésianisme réducteur qui dominent tant la littérature cyberpunk que la technologie du cyberespace. Par opposition à celles-ci, j’aimerais insister sur le fait que la Femme n’est pas uniquement l’autre objectifié du patriarcat, lié à lui par négation. En tant que base pour l’identité féminine, la Femme signifiante se rattache aussi et simultanément à une marge de dissidence et de résistance à l’identité patriarcale. J’ai avancé ailleurs que le projet féministe intervient à la fois au niveau de l’action historique -à savoir la question de l’insertion des femmes dans l’histoire patriarcale-, de l’identité individuelle et de la politique du désir. Ainsi cela couvre à la fois les niveaux du conscient et de l’inconscient. Cette approche déconstructive de la féminité est très fortement présente dans la politique de la parodie que j’ai défendue plus haut. Les femmes féministes qui continuent à fonctionner dans la société en tant que sujets féminins en ces jours post-métaphysiques de déclin des dichotomies sexuelles, se comportent "comme si" la Femme était encore leur position. Toutefois, en agissant ainsi, elles traitent la féminité comme une option, une série de poses disponibles, une série de costumes riches en histoire et en relations de pouvoir social, mais plus de manière ni figée, ni forcée. Elles défendent et déconstruisent simultanément la Femme en tant que pratique signifiante.

Mon idée est que le neuf est créé en revisitant et en mettant le feu au vieux. Pareillement au repas totémique de Freud, on doit assimiler ce qui est mort avant de pouvoir aller vers un ordre nouveau. La solution peut être trouvée par répétition mimétique et consommation de l’ancien. Nous avons besoin de rituels de mise en terre et de deuil pour les morts, en incluant plus particulièrement le rituel de la mise en terre de la Femme qui était. Nous avons besoin de dire adieu à ce second sexe, cet éternel féminin qui colle à nos peaux comme un matériau toxique, brûlant dans notre moelle osseuse, dévorant notre substance. Collectivement, nous devons prendre le temps de faire le deuil du vieux contrat socio-symbolique et de cette façon imposer le besoin d’un changement d’intensité, un changement de tempo. A moins que les féministes ne négocient avec l’historicité de ce changement temporel, les grandes avancées faites par le féminisme vers l’émancipation de formes alternatives de la subjectivité féminine n’auront pas le temps d’arriver à la réalisation sociale.

La réponse au métaphysique est le métabolisme, c’est à dire un nouveau devenir incorporé, un changement de perspective qui permet aux individus de définir leur rythme et leur niveau de changement tout en cherchant des formes sociales réalisables de consensus afin de réajuster notre culture à ces modifications et changements. Kathy Acker dans son texte splendide In Memoriam to Identity, fait remarquer que tant que "je" a son identité et son sexe, "je" n’est rien de neuf. J’ajouterais aussi que tant que l’on croit en la grammaire, on croit en Dieu. Dans la modernité, Dieu est mort et bien que la puanteur de son corps pourrissant se soit répandue dans le monde occidental depuis plus d’un siècle, il faudra plus que des expériences hystériques avec de mauvaises syntaxes ou le fantasme solipsistique des virées pour nous sortir collectivement de sa folie phallocentrique en déclin mais néanmoins toujours opérationnelle. Nous avons plutôt besoin de plus de complexité, de multiplicité, de simultanéité et nous devons repenser le genre, la classe et la race dans notre poursuite de ces multiples et complexes différences. Je pense aussi que nous avons besoin de douceur, de compassion et d’humour pour nous extirper des ruptures et des extases de notre époque. L’ironie et l’autodérision sont des éléments importants de ce projet et ils sont nécessaires à son succès, comme l’ont fait remarquer des féministes aussi diverses que Hélène Cixous ou French & Saunders. Le manifeste des Bad Girls le proclame: "Par le biais du rire notre colère devient un outil de libération". Dans l’espoir que notre rire Dionysiaque collectif l’enterrera vraiment une bonne fois pour toutes, le cyber-féminisme a besoin d’entretenir une culture de joie et d’affirmation. Dans leur recherche de justice socio-symbolique, les femmes féministes ont une longue histoire de danse dans des champs de mines potentiellement meurtriers. De nos jours, les femmes doivent entreprendre la danse au travers du cyberespace, ne fût-ce que pour être certaines que les joy-sticks des cow-boys du cyberespace ne reproduisent pas la phallicité univoque sous le masque de la multiplicité, et aussi pour s’assurer que les riot girls, dans leur colère et leur passion visionnaire, ne recréeront pas la loi et l’ordre sous le prétexte d’un féminin triomphant.

Note: Traduction d’"embodiment": littéralement être en corps, prendre corps, sera traduit ici selon le contexte par incarnation (incarner: 1372; a.fr encharnerre fait sur le lat.ecl. incarnare: revêtir (un être spirituel) d’un corps charnel, d’une forme humaine ou animal- in Le Petit Robert), incorporation (incorporer: 1411; encorporer fin XIIe siècle; bas. lat incorporare, de corpus "corps" - in Le Petit Robert), en-corporation.

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