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Botbol-Baum, Mylène

L’embryon dé-localisé de l’utérus à la cité: amalgame entre individu biologique et personne?

On-line version: http://constant.all2all.org/~digitales/texts/botbol-baum06.doc

Table des matières


1 Le concept d’embryon et sa place dans la cité
1.1 Entre idéalisme et matérialisme de la Renaissance à nos jours
1.2 La dimension historique et politique du concept de personne
2 Description des enjeux bioéthiques
2.1 Sacralité ou qualité de la vie ?
2.2 Les arguments des firmes : le cas paradigmatique de Geron
2.2.1 Vitalisme, fixisme, évolutionnisme, bioéthique ?
2.3 La personne prénatale, entre épistémologie et éthique
2.3.1 L’inquiétude d’Habermas
2.3.2 Le corps et le politique
2.3.3 De l’argument ontologique au meurtre métaphysique
2.4 Ce qu’a changé la procréation médicalement assistée
2.5 A partir de quand est-on une personne ?
2.6 Définir l’embryon au-delà du dualisme choses–personnes
3 Les états de droits face aux droits subjectifs
3.1 Bioéthique et nature humaine
3.2 Doit-on opposer principes intangibles et transgression émancipatrice ?
3.3 Débats bioéthiques et états de droit
3.3.1 De l’utérus à la cité
3.3.2 De l’embryon au clone comme « expérience de pensée »
3.3.3 L’attitude eugénique est-elle inhérente aux nouvelles techniques de reproduction ?
3.3.4 L’inviolabilité du corps humain
3.3.5 Contre un universalisme simpliste, un universalisme ouvert
4 Conclusion

1. Le concept d’embryon et sa place dans la cité

1.1 Entre idéalisme et matérialisme de la Renaissance à nos jours

L’impact socio-politique de la question du statut de l’embryon et de sa place dans la cité nous ramène aujourd’hui aux débats métaphysiques qui marquèrent la séparation entre Moyen–Âge et Renaissance. En effet, la fonction biopolitique de la réflexion autour du statut de l’embryon dans la cité fonctionne comme un paradigme récurrent depuis le treizième siècle. La question semble revenir au devant de la scène à chaque crise de représentations entre biologie et ontologie, entre matière et forme. Au Moyen-Âge particulièrement, deux modèles incompatibles s’affrontent. La renaissance de l’aristotélisme dote la pensée latine de la philosophie juive et arabe d’Avicenne (980-1037) philosophe et médecin, et de Salomon Ibn Gabirol ( philosophe et poète juif néoplatonicien), dont des pans entiers de l’œuvre avait été faussement attribué à Aristote [1] . Le matérialisme que véhicule cette oeuvre s’oppose à la vision idéaliste du dogme de l’église. La version aristotélicienne prééminente laisse penser que l’âme pourrait être issue de la matière, ce qui laisse planer l’idée de son altération ou de sa corruptibilité. Ces lectures néoplatoniciennes seront fortement critiquées à l’époque par l’ontologie et la théologie chrétienne, car il faut sauver l’immortalité de l’âme et donc le dualisme idéaliste, en prônant que :

« L’embryon nécessite un ajout extérieur, réalisé par dieu en chaque individu. » [2]

C’est un sujet sur lequel Aristote ne se prononçait pas dans De Anima. Accueillir la philosophie judéo-arabe dans le corpus chrétien revenait à l’époque à changer de modèle politique. Tout se passait en effet comme si la perception biologique de l’embryon donnait une forme organique et historique à la cité, qui risquait de remettre en cause le rapport établi entre le masculin et le féminin, la forme et la matière. Augustin considérait que Dieu avait créé toutes choses au commencement sous forme de semences qui se déploient dans le temps au sein de la création parfaite ; toutes choses existant à l’origine mais en puissance, s’actualisant progressivement [3]. La nature serait, selon ce modèle, tout entière un monde embryonnaire que Dieu accompagne dans son développement. Le dieu de Thomas d’Aquin est proche du démiurge platonicien (Dator formarum) qui permet que toute forme soit présente dans la matière passive de manière inchoative. L’enjeu de la définition de l’embryon pour Thomas d’Aquin est donc bien de refuser la succession continue des formes dans la gestation embryonnaire, car pour lui :

« Une forme substantielle ne peut comporter de plus et moins : l’addition d’une plus grande perfection crée une autre espèce » [4]

Il s’agit pour lui de savoir si nous pouvons penser les réalités du monde comme naissant de sa propre matière, sans intervention extérieure, de savoir si nous sommes sujets, personnes ou individus. Il s’agit aussi surtout de nier l’idée par trop matérialiste selon laquelle Dieu aurait créé le monde et l’aurait laissé évoluer par lui-même, sans plus y intervenir, laissant la responsabilité du monde aux humains. St Thomas s’oppose férocement à toute hypothèse, combien moderne, d’auto production de la forme dans la matière5. Il refuse que le monde puisse exister si Dieu ne le crée pas à chaque instant, et développe l’idée d’une création continuée, qui seule unifie les instants. La nature tout entière, et certainement celle de l’embryon, est dès lors pensée comme modèle du vivant et s’oppose à la vision de la semence, risquant de mener à des visions hérétiques de la place à accorder à l’embryon dans la cité. Les genres n’y sont en effet pas séparés et issus de catégories biologiques, relatives à la procréation. La vision d’Aristote et de ses interprètes judéo-arabes met en évidence la proximité entre le genre et la génération, principe même de l’individu qui, néanmoins, marquera une hiérarchie entre le masculin et le féminin de la forme sur la matière, alors que, pour Thomas, la matière en pouvait même être un genre. Salomon Ibn Gabirol parlera de forme universelle et de matière universelle, sans établir de hiérarchie, ce qui était inaudible à l’époque :

« Le maître- La matière et la forme sont comme le corps humain et sa forme-par forme comprends la composition de ses membres ; la volonté est comme l’âme ; et l’essence première est comme l’intelligence »…

« Il faut que dans l’intelligible, il y ait une matière universelle soutenant toutes les formes intelligibles, et une forme universelle qui de même soutienne toutes les formes intelligibles » [6]

Cette vision originale développée dans « De materia et forma » provoqua de violentes polémiques, c’était pourtant la thèse principale d’Ibn Gabirol pour lequel tout ce qui existe est constitué de matière et de forme, une seule matière composant l’univers. Cette universalité de la matière est la contribution la plus originale D’Ibn Gabirol. La continuité de la génération était pensée comme indispensable et mena à inverser le primat de la forme sur la matière, donc du masculin sur le féminin. Ce déplacement de paradigme fait pour Dante de l’embryon, dès cette époque, un « modèle politique », dans le sens où le développement de l’embryologie devient la métaphore de certaines théories politiques qui marquent le passage du Moyen-âge à la Renaissance et le mènera à repenser la notion de dignité humaine, à travers la vision de Pic de la Mirandole lecteur des cabalistes du moyen âge.

L’enjeu soulevé par ce tournant philosophique amène soit à considérer que le genre est donné par le principe masculin, ce qui conduit à penser que les fondateurs de la cité ne peuvent naître qu’au sein de grandes familles, soit, comme pour Dante, l’embryon permet de rejeter l’idée spiritualiste d’une noblesse de sang, condition de la filiation divine et de la création continuée et fixiste d’une aristocratie fondée sur de grande lignées familiales. Dante inverse ce paradigme, faisant du modèle embryologique plus matérialiste la métaphore du gouvernement par le peuple dans un passage célèbre du Convivio :

« Ainsi que les Uberti de Florence ou les Visconti de Milan ne disaient pas" Parce que je suis de telle race je suis noble", car la semence divine ne tombe pas sur la race, c’est-à-dire sur la lignée, mais tombe dans les personnes singulières… les personnes singulières rendent nobles la lignée » [7]

Ce texte est remarquable dans le sens où nous voyons que c’est la cohérence de la matière biologique qui déjà au XIIIème siècle fait du peuple un ensemble d’individus vivants donnant forme à la cité. Il semblerait que nous ayons aujourd’hui régressé à la vision moyenâgeuse du modèle embryologique, sacralisant la potentialité de la semence, et risquant par-là même de réveiller l’idée qu’il y aurait une lignée non modifiée de l’humain, à préserver contre toute manipulation d’un mythique patrimoine génétique de l’humanité.

Il nous faudra analyser quel modèle politique émergera demain du conflit de représentations du modèle biologique ou symbolique de l’embryon. Telle sera la tentative de cette réflexion sur la délocalisation de l’embryon, de la boîte de Pétri au statut de personne morale dans la cité.

Il semble néanmoins assez évident que nous sommes confrontés à une vision récurrente. Comme la confusion entre les concepts de personne, d’individu, et d’humain mène aux amalgames idéologiques dont nous subissons aujourd’hui encore les effets, nous voudrions réfléchir ici à l’effet anthropologique de définir l’embryon comme personne potentielle.

1.2. La dimension historique et politique du concept de personne

Pour certains, la dimension historique du concept de personne le réduit à une convention sociale. La question subsidiaire revient alors à savoir si, d’un côté, les sciences biomédicales sont légitimées à changer les conventions et représentations sociales, en imposant une forme de vérité incontournable à laquelle devraient se conformer le juridique et le politique ou si, d’un autre côté, et comme la bioéthique le suggère, au-delà des relativismes des représentations de chaque domaine épistémologique, il devient nécessaire d’établir un consensus minimal autour de la légitimité d’élargir le concept juridique de personne à l’embryon.

Nous sommes confrontés de plus en plus souvent à des questions de recherche scientifique de pointe, qui finissent par échapper à l’expertise scientifique et sont réappropriées de manière interdisciplinaire par des experts censés défendre l’intérêt du public non averti des dérives « inhumaines de la science » [8]. Peut-on accepter que les valeurs énoncées lors des débats bioéthiques soient réactives (voire réactionnaires) par rapport aux faits scientifiques, qui semblent dispenser un vertige de libertés et de possibilités toujours nouvelles ? Pour que le public se sente interpellé dans une démocratie participative par une question, il faut qu’il soit non seulement informé mais éclairé sur les enjeux. Les enjeux éthiques ne tombent dans le domaine public que lorsque les conséquences pratiques de la recherche ont un effet politique dont on voudrait convaincre l’opinion.

La question des « cellules souches primordiales » issues d’embryon est en ce sens assez exemplaire car elle a été d’abord très peu médiatisée en Europe où elle n’avait pas d’impact politique immédiat. A contrario, aux États-Unis elle a provoqué une polémique aux enjeux politiques et idéologiques énormes autour du statut de l’embryon, et divise Républicains et Démocrates depuis l’ère Reagan jusqu’à Bush Jr. Le débat s’y est élargi à la question de savoir si la science transcende le politico-religieux ou si elle est au service de ses manifestations diverses.

Le journal Science n’échappait pas aux métaphores ambiantes lorsqu’il publiait dès 1999 une lettre intitulée « Science over politics » signée par 67 prix Nobel qui soutenaient la firme pharmaceutique Advanced Cell Biology ainsi que l’institut Tissue Engineering and Transplant Medicine, afin que leur soient octroyés des fonds publics pour la recherche sur cellules souches embryonnaires, interdite par le gouvernement Reagan. Ces cellules souches embryonnaires, et nous arrivons au cœur de la polémique, sont généralement issues de fœtus avortés ou d’embryons surnuméraires. Le gouvernement Reagan a adopté une position conservatrice sur la question, et la communauté scientifique a légitimement refusé de voir sa liberté de recherche limitée par des intérêts électoraux. Mais que penser de cette autorité scientifique à infléchir le débat public sur une question qui dépasse la liberté de recherche, car elle implique le pluralisme du choix de valeurs basé sur une expertise scientifique en conflit avec des convictions politico-religieuses ? Sommes-nous témoins d’une nouvelle polémique entre naturalisme et fixisme religieux ?

Comparons ceci aux situations similaires que nous connaissons mieux. Si de nombreux pays européens n’ont pas signé la convention d’Oviedo de 1997 sur les droits de l’homme et la biomedecine, c’est à cause de l’article 18 de cette convention, relatif à la recherche sur l’embryon et à l’interdiction de création d’embryons pour la recherche. Il n’y a pas eu d’informations ni de sollicitations de véritable débat citoyen sur cette question. Comment cette question est-elle devenue un enjeu des élections américaines, puis européennes, successives ? Pourquoi mène-t-elle également à une révision des lois de bioéthique en France et remet en cause la signature de la convention sur les droits de l’homme en Belgique, sans que l’homme de la rue puisse en définir de manière claire les enjeux en termes bioéthiques ou biopolitiques ?

2. Description des enjeux bioéthiques

Il est intéressant de noter que dans nos démocraties pluralistes la morale de la recherche sur embryon serait soudain redevenue homogène et garantie par l’état. Les projets de loi régulant la manipulation d’embryons pour la FIV ou la thérapie génique ont été rédigés en faisant fi des convictions des individus et au nom de l’humanité, au nom de l’expertise, et par principe de précaution contre les « crimes contre l’humanité et contre l’espèce humaine ». Ces justifications sont issues de l’alliance du néolibéralisme et de l’individualisme, dont le seul bouclier ne pouvait être qu’une bioéthique qui serait un mélange étrange de kantisme et de christianisme fondamentaliste. Ce climat sécuritaire a été politiquement légitimé par les évènements du 11 septembre qui, s’ils ont frappé les États-Unis, n’ont pas, comme nous le verrons, épargné certains pays européens dans la justification d’un modèle sécuritaire au nom des protections des libertés.

Il semble urgent, face à cette fièvre législatrice, de réveiller l’idée de démocratie participative autour des questions qui concerneront de près ou de loin chacun d’entre nous, et que l’information soit disponible et permette une liberté co-responsable.

Les enjeux de la recherche sur embryon mettent en scène un conflit entre arguments épistémologiques et arguments ontologiques, complexes certes, mais qui ont des effets politiques concrets, notamment sur les droits reproductifs des femmes et la représentation de la filiation biologique et psychosociale, qui dépassent le droit public et relèvent des droits subjectifs.

La pensée du consensus exigerait une attitude relativiste par rapport à ces arguments, alors qu’une rigueur méthodologique permettrait de hiérarchiser leur pertinence. Il semble relever de la cohérence de l’éthique participative de permettre à chacun de s’approprier les enjeux du débat ; revenons-en donc à la description des faits, tout en sachant qu’aucune description n’échappe véritablement à l’interprétation.

La spécificité des cellules souches embryonnaires est leur indifférenciation, c’est-à-dire qu’elles peuvent donner naissance à tous les types cellulaires. C’est pourquoi on les nomme totipotentes. La maîtrise récente par une firme privée (Geron) du processus de différenciation de cellules totipotentes en cellules pluripotentes a été qualifiée de découverte de l’année par la revue Science. Cette technique comporte des promesses thérapeutiques révolutionnaires pour les patients atteints de diabète, d’Alzheimer, du cancer, ou de la maladie de Parkinson. Ce qui pose un problème philosophique pour certains est l’origine de ces cellules, qui proviennent d’un ovule humain fécondé, auquel certaines convictions philosophiques et religieuses attribuent une valeur principielle.

2.1 Sacralité ou qualité de la vie ?

Dans ce débat s’opposent les tenants du concept de sacralité de la vie face à ceux qui, dans une perspective plus matérialiste, considèrent que la recherche médicale consiste à améliorer la qualité de la vie. Les pressuposés philosophiques sous-jacents à ces deux options mènent à repenser la définition de la nature humaine, soit comme donnée dans une perfection, à protéger de toute altération, ou comme historique, et donc sujette à évolution.

Il existe en effet pour l’instant quatre méthodes fiables pour obtenir des cellules totipotentes :

1. Utiliser un embryon créé en vue d’une fécondation in vitro : quelques cellules sont prélevées au stade où leur fonction est encore indifférenciée, on parle alors de cellules souches embryonnaires, qui sont ensuite mises en culture.

2. Utiliser des cellules de la lignée germinale sur des fœtus avortés, qui sont des cellules pluripotentes, et non totipotentes, et ont donc moins d’intérêt pour la recherche.

3. le transfert de noyau somatique humain dans un ovule énuclée

4. l’utilisation éventuelle de cellules souches adultes

La seconde méthode est courante, assimilable à l’utilisation de tissus fœtaux, et est légalisée dans de nombreux pays européens. La première est une technique qui pose, à ceux qui défendent l’argument de la sacralité de la vie, la question du statut de ces cellules embryonnaires. Y a-t-il une différence philosophique fondamentale à créer des embryons pour la recherche ou à utiliser des embryons congelés issus de la PMA ? Certains chercheurs rejettent l’argument de « dignité potentielle » de ces embryons, qui ne peut être liée de manière inférentielle à leur seule destination, mais à une décision qui en ferait, à partir d’un certain degré de développement, des être appartenant à « l’espèce humaine ». Nous y reviendrons.

Peut-on dès lors définir de manière consensuelle le statut ontologique de ces embryons ou sommes-nous condamnés à une confusion épistémologique entre les divers jeux de langage ?

En termes philosophiques, un consensus autour des régulations entourant l’utilisation des embryons pour la recherche doit-il être imaginé pour qu’un consentement éclairé des parents à donner ces embryons surnuméraires à la recherche soit possible ? Faut-il, au nom du principe de précaution, en arriver à la très problématique et récente loi italienne qui force les couples atteints de maladies génétiques à implanter tous les embryons obtenus par FIV pour ne pas devoir les congeler ou les détruire [9]. Cette loi met en danger les mères en leur interdisant d’utiliser les moyens techniques leur permettant d’implanter un embryon sain, annulant ainsi du même coup la pertinence de l’évolution des techniques de fécondation in vitro.

Mais la question se pose-t-elle vraiment au niveau d’un micro-eugénisme privé assurant une meilleure liberté-responsable des couples ou des mères ? Il semble plutôt que la question éthique fondamentale se pose à deux autres niveaux :

1. dans le modèle néo-libéral, le pouvoir des firmes privées à influencer l’orientation de la recherche publique pourrait empêcher les États de jouer leur rôle de tiers médiateur entre les camps idéologiques, nécessité par l’incertitude, entretenue en termes de gestion de conflits d’intérêts, autour de ces questions de bioéthique.

2. dans un modèle politique réactionnaire, le fondamentalisme religieux s’opposerait au pluralisme démocratique pour imposer un modèle patriarcal et autoritaire classique, fondement politique de ces états.

La difficulté est de constater que souvent ces écueils se mélangent et que nous assistons, dans les pays à économie néo-libérale, à un retour du discours moral contre l’éthique pluraliste au nom même de la dignité humaine, dont la définition serait le monopole de l’état, qui gérerait ainsi les mœurs sociales de ses concitoyens en bon père de famille. Le cas est évident pour l’administration Bush, mais aussi pour Berlusconi, et dans une moindre mesure pour l’ex-ministre de la santé en France, J. -F. Mattei, qui a fait de la recherche sur embryon, menant inévitablement au clonage humain, un crime contre l’humanité et contre l’espèce humaine. [10]

Le sens commun dans les démocraties européennes est juridiquement fondé sur le principe kantien selon lequel l’humain doit toujours être utilisé comme fin et non comme moyen. La recherche sur cellules primordiales permettrait-elle une violation de ce principe ? Le discours utilitariste qui consiste à évaluer les risques (symboliques ?) et les bénéfices (potentiellement thérapeutiques) de telles recherches ont fait pencher la balance, notamment aux États-Unis, vers l’option suivante :

« Il n’existe pas de justification éthique forte pour distinguer la création de l’utilisation de cellules souches humaines » [11]

Cette déclaration a donné licence aux firmes privées pour avancer dans leurs recherches en clonant les cellules souches embryonnaires prélevées sur embryons congelés ou fœtus avortés. Cette décision ne pose pas problème en termes de rationalité scientifique, mais bien en termes d’organisation politique ou, du moins, de soumission du politique aux impératifs de compétition économique. Cette phrase peut être lue soit comme un jugement arbitraire permettant d’éviter le conflit de convictions, soit comme la déduction d’une réflexion éthique, ce qu’elle n’est certainement pas. Il semble que l’on décide, à partir de critères de marchés pharmaceutiques potentiels, qu’il faut nier la différence idéologique entre une perspective naturaliste, voire constructiviste du monde, où l’homme se fait créateur et technicien de sa propre généalogie, et une perspective ontologique traditionnelle, où l’homme se pense créature dont la liberté se limite à reproduire fidèlement l’ordre du monde dont il serait le gardien. Gardien de l’être ou gardien de l’Autre, telle semble être la question. Plus encore, elle pose un choix éthique pour tous, sans argumentation éthique. Ce n’est évidemment pas un argument philosophique qui motive le changement de définition du statut de l’embryon. Comme nous le verrons, des enjeux bien plus pragmatiques d’avancées en termes de recherche dont l’impact économique est colossal, et les retombées thérapeutiques « prometteuses », apparaîtront comme le véritable enjeu de ce débat sémantique. Peu importe le résultat, la procédure me semble douteuse en termes de respect des règles démocratiques et de fonction de l’État en tant que tiers responsable de gérer la possibilité d’un dissensus apaisé entre convictions plurielles. Dans un excès inverse, la France s’est octroyé le rôle dépassé de désigner le Bien pour tous dans une perspective paternaliste, surannée et difficilement compatible avec l’idéal de fonctionnement d’une démocratie participative.

Pour pouvoir se prononcer de manière libre sur ce débat nous devons rappeler que la recherche sur embryon portait d’abord, pour la firme Geron, sur la compréhension des processus de vieillissement, liés aux télomères, à l’extrémité de nos chromosomes. L’on s’est aperçu que ces télomères pouvaient se régénérer provisoirement grâce à une enzyme, la télomérase, qui stoppe le processus de vieillissement en réactivant le processus de division cellulaire, si actif dans les cellules embryonnaires. Il semblait donc légitime, en termes de rationalité scientifique, d’utiliser des cellules embryonnaires afin de régénérer certaines personnes âgées atteintes de maladies dégénératives, sans se poser alors la question de savoir si le processus cellulaire se répercutait nécessairement sur l’ensemble de l’organisme [12].

Pour prévenir l’émergence d’un discours moral pouvant condamner l’utilisation d’embryons et entraver les recherches, Geron a créé un comité d’éthique interne ayant pour fonction de rassurer et de devancer les questions éthiques du public. Cet acte novateur posait avec acuité la question de l’interaction entre recherche sur fonds privés et sa légitimation publique à travers un discours bioéthique consensuel, repris aux USA par le NIH lui-même, organisme fédéral qui finance toute la recherche publique américaine dans le domaine de la santé, à la pointe de la recherche mondiale. Cet événement a marqué un tournant dans le discours bioéthique, qui quittait les départements de théologie, voire de philosophie, pour les conseils d’administration des firmes privées. Ceci a provoqué une tension accrue entre le modèle pragmatique et utilitariste de la recherche américaine dans un contexte politique conservateur, et celui plus principaliste de la recherche européenne vivant encore sous le spectre du procès de Nuremberg et associant toute expérimentation sur du matériel biologique humain à un crime contre l’humanité. Cette tension pose la question des conditions de la légitimité de la dépendance des organismes de recherche avec les pouvoirs politique ou économiques.

Il devenait clair que la polémique à propos de l’expérimentation sur cellules souches embryonnaires engageait d’autres enjeux que moraux. Le potentiel thérapeutique du clonage de cellules souches a permis en quelques mois (en mai 1999) à la petite firme Geron [13] d’acquérir le fameux Roslin Institute (où est née Dolly), Biomed et Clonetech, d’être cotée en bourse (GERN), et de devenir, sous la direction de Michael West, Advanced Cell Technology (ACT), société de médecine régénératrice. La société ACT a gardé le comité d’éthique qu’avait créé Geron, mais dirigé par Ronald Green, professeur au collège de Dartmouth, après qu’Arthur Kaplan a refusé que son nom cautionne l’alliance du profit et de l’éthique. Cette fusion des trois sociétés permettait au directeur de Geron, puis d’Advanced Cell Technology, d’associer trois technologies de pointe complémentaires, et de devenir leader sur son marché, après avoir obtenu le brevet sur les cellules humaines pluripotentes, en promettant d’établir un lien entre ingénierie génétique et thérapie génique. Les questions éthiques ont été masquées par l’astuce sémantique consistant à ne pas appeler les cellules souches « embryonnaires », mais « primordiales ».

2.2 Les arguments des firmes : le cas paradigmatique de Geron

Pour le comité d’éthique de Geron [14], il était unanimement acceptable de faire des recherches sur cellules souches embryonnaires pourvu que certaines conditions soient respectées, comme suit :

1. Le blastocyte doit être traité avec le respect dû à un tissu embryonnaire précoce.

2. Les femmes/couples donnant des blastocytes dans un processus de fécondation in vitro doivent donner leur consentement éclairé quant à l’utilisation de ces blastocytes pour la recherche et le développement de lignées cellulaires à partir de ce tissu primordial.

3. La recherche n’impliquera aucunement un clonage à usage reproductif, aucun transfert dans l’utérus d’une femme ou création de chimères.

4. L’acquisition et le développement des cellules souches ne doivent pas violer les normes acceptées concernant la recherche humaine ou animale.

5. Toutes ces recherches doivent être effectuées dans le contexte du respect pour le principe de justice globale.

6. Toute recherche sur cellules souches embryonnaires doit être approuvée par un comité d’éthique indépendant en plus du comité d’éthique local.

Ces régulations très vagues ont été quasi toutes adoptées par le NIH et par la convention européenne sur la recherche sur cellules souches.

Ont-elles une valeur dépassant la pétition de principe ? Quel est le contexte réaliste de l’application de ces régulations ? Ce compromis entre valeurs vitalistes et valeurs de marché suffit-il à élaborer une position éthique de consensus pouvant être entérinée juridiquement ?

Trois écoles se disputent sur cette question, en séparant :

1) Ceux qui accordent un statut ontologique à la conception unissant le patrimoine génétique des deux parents, et qui sacralisent les données biologiques (genetic school).

2) Ceux qui séparent le statut ontologico-moral et la vie, n’accordant de statut moral qu’à la personne au stade d’un développement plus tardif et par étape du blastocyte au fœtus, etc (école gradualiste).

3) Ceux qui partagent, avec l’école gradualiste, l’idée que la personne est le fruit d’un processus mais refusent que la notion de personne soit définie biologiquement et s’appuient sur une vision existentielle de la personne dans une société donnée.

Une approche pluraliste aurait tendance à privilégier dans l’ordre les deux dernières positions en termes pragmatiques, tout en refusant qu’un seul critère puisse définir pour tous la signification à donner à l’origine humaine de ces cellules, afin que soit préservée la “naturalité biologique”.

Le comité d’éthique de Geron a choisi l’approche développementale, proche des traditions légales du common law qui offre une protection à l’embryon, lié à son stade de développement. Le principe du respect impliquerait donc différentes obligations selon le stade de développement. Ce qui est en cause n’est pas le principe abstrait de vie caractéristique au vitalisme, mais le degré de protection dû à cette vie selon son degré de développement.

Si, par exemple, chacun acceptait que la capacité d’être affecté ou d’avoir des sensations est absente pour le blastocyte, ceci impliquerait qu’il ne requiert pas le même degré de protection qu’un embryon, et le principe de risque minimal ne serait pas applicable.

Pour justifier la recherche sur cellules souches, le critère de départ est de ne la poursuivre que dans la finalité de réduire la souffrance humaine, ce que permettra probablement l’application de cette recherche en termes cliniques et pharmaceutiques. Cela ne permettra pas de faire l’économie d’une différenciation symbolique claire entre blastocyte et embryon, ne pouvant se baser sur aucune démarche vérificatoire. Ce qui est en jeu dans le débat éthique reste l’aspect problématique, pour certains, des tissus collectés après avortement, au sujet duquel le conflit de conviction continue de faire rage, malgré les lois européennes le dépénalisant.

Il existe une asymétrie entre celui qui peut définir la réalité biologique, et celui qui pense en termes de projet ethico-social, en termes de ce qui doit être (l’éthique). Cette asymétrie s’est d’ailleurs inversée en faveur du créateur de réalité ou « designer » génétique, selon l’expression d’Habermas, qu’est devenu pour certains le généticien aujourd’hui. Comment repenser alors la responsabilité de la santé publique et des citoyens en général face à la recherche, avant tout débat public ?

Si une résistance interprétative à la factualité apparaît en termes épistémologiques, à quelles conditions peut-elle se poser sans être amplifiée pour ne pas induire une attitude réactionnaire dans un public que l’ignorance ou l’incompréhension ne peut rendre que méfiant ? Comment lui ouvrir d’autres choix qu’un refus, basé sur l’heuristique de la peur, ou sur un espoir prométhéen de thérapies futures, encore au stade de promesse.

Il est alors essentiel de se demander si la recherche sur cellules primordiales pose d’abord des questions scientifiques ou éthiques, afin de pouvoir hiérarchiser les réponses pour qu’une option techno-scientifique ne puisse, à elle seule, annuler la pluralité des options éthiques. Celles-ci supposent néanmoins des repères normatifs devant être soumis à une réflexion évolutive.

Si des technologies innovantes permettent de modifier la destinée de cellules embryonnaires et d’en faire des cellules de foie ou de cerveau dans le proche avenir, elles changent notre perception du pré-embryon, et tout se passe comme si le déterminisme se dédoublait en deux libertés :

1. devenir embryon, fœtus, enfant

2. devenir un objet x, y, z déconnecté de tout paramètre d’espace et de temps.

L’analogie entre stade développemental et statut moral est de moins en moins évidente. Si les cellules souches sont intentionnées comme embryon, elles ont un statut moral supérieur au scénario 2 où elles seraient des organes-moyens. Une vision plus fonctionnaliste peut néanmoins être considérée comme raisonnable, tant que la fécondation n’est pas suivie d’une nidation. Cette liberté nouvelle engage de nouvelles responsabilités, qui doivent être pensées collectivement, au-delà des conflits d’interprétation, masqués par des conflits d’intérêts confondant « affirmations scientistes » et « données scientifiques ». L’importance de ces données déborde l’espace du seul laboratoire de recherche, par leur impact clinique de plus en plus rapide, et leurs retombées socio-économiques de plus en plus planifiées. L’aléatoire et l’incertitude inhérents à la recherche sont abandonnés pour entrer dans un modèle de gestion économique, nécessairement plus pragmatique que principaliste.

Il semble que nous ayons assez d’éléments pour établir cette différenciation épistémologique, qu’il nous reste à traduire en termes juridiques, pour viser un nouveau principe de justice. La question éthique qui subsiste est celle de la production possible en termes socialement pertinents d’une telle différenciation. Pour cela, le débat bioéthique se doit d’affronter les dissensus et de réfléchir en dehors des « principes » proposés par les comités d’éthique des firmes privées pour éviter tout conflit d’intérêt. Aux Etats-Unis, la position du NIH était de légitimer néanmoins cette recherche pour ne pas en voir échapper les potentiels thérapeutiques vers des pays en voie de développement moins exigeants sur des principes éthiques importés. C’est pourquoi, face à la mondialisation marchande de la santé, il est urgent d’établir une éthique globale. La plupart des pays occidentaux se joignent à cette réal politik pour ne pas s’exclure des bénéfices économiques de la recherche. La défense de cette position s’exclut manifestement du scénario éthique de la responsabilité globale, sur laquelle est fondée la pensée universaliste des droits de l’homme.

Si les progrès de la recherche, auxquels nous accordons dans notre société une valeur éthique, tirent leur légitimité de la finalité de réduire toute souffrance inutile issue de l’injustice de la loterie naturelle, comment légitimer que le politique décide des priorités de cette recherche ?

2.2.1 Vitalisme, fixisme, évolutionnisme, bioéthique ?

Devant l’indécidabilité de la question de ce qui constitue la dignité humaine dans le conflit entre vitalisme, fixisme, et évolutionnisme, des choix pragmatiques s’élaborent sur des consensus fondés sur une éthique de la discussion. Celle-ci se décide de plus en plus entre experts, alors que les enjeux sont de plus en plus privés, puisqu’ils concernent le corps et la filiation. Mais au-delà de la régulation des pratiques reproductives, le changement des représentations confronte certains à la question : que devient l’humain à l’ère de la reproduction asexuée ou comment gérer le jeu des intérêts et des passions ? Comment éviter de faire de la politique au nom de la science et viser une perspective écopolitique de modulation de la force qui va des sciences vers le débat public ? Nous devons orienter le débat des cellules souches et du statut de l’embryon, au-delà de l’affrontement stérile technophobie/ technophilie, en nous rappelant que c’est l’artifice technique qui nous a toujours permis d’humaniser la Nature. La question biopolitique fondamentale reste de savoir comment élaborer une réflexion bioéthique préventive, afin que ces recherches ne contribuent pas à élargir l’écart entre ceux auxquels ces techniques permettraient de passer à l’ère de la post- ou trans-humanité et ceux qui risquent d’en être exclus à jamais.

Est-il légitime que l’individualisme, moteur d’un certain capitalisme, nous permette de vivre de plus en plus longtemps, dans l’indifférence par rapport au Sud où l’avenir demeure de mourir relativement de plus en plus jeune ? Ces questions négligées d’éthique globale nous sont revenues à la conférence de Durban sur le Sida, qui nous a rappelé qu’on ne peut avoir de libérations nationalisées de la maladie ou de la pauvreté. Comme le dit Amartya Sen [15], la question économique est une question hautement éthique, qui ne doit pas être gérée par les seuls intérêts des firmes pharmaceutiques, et exige que nous restions vigilants à ce que la recherche de bien-être en occident ne soit pas légitimée au nom du relativisme des doubles standards, mais en termes d’universalisme minimal. Cette question dépasse l’expérimentation sur embryon et concerne un choix de société qui vise l’égalité de droits. La forme la plus perverse d’eugénisme n’est donc pas la sélection d’embryons en termes de qualité de vie biologique, mais reste bien l’exclusion sociale de toute personne née vivante, sur base de critères raciaux ou économiques [16].

2.3 La personne prénatale, entre épistémologie et éthique

Ces questions éthiques sont de plus en plus débattues dans une confrontation de savoirs qui vise à brouiller les enjeux. Le conflit de convictions philosophiques autour de la légitimité de la recherche sur embryon rallume, aux États-Unis comme en Europe, de vieux débats à la fois idéologiques, épistémologiques, et sémantiques sur le concept de personne que l’on tente d’élargir à l’embryon. Le génome représentant à la fois l’individualité et la quintessence de l’espèce, la notion de personne semble précisément se heurter à celle d’espèce, tout en la réduisant à « un capital génétique protégé ». Il n’est pas anodin de rappeler que les considérations biologiques sur l’espèce ont historiquement reflété un désir culturel d’auto-affirmation et d’auto-identification, associé à une hétérophobie diffuse envers tout ce qui pourrait altérer ce « capital génétique ».

Les avancées de la génétique et de la génomique modifient, certes, les perceptions communes de l’essence de l’homme, mais semblent maintenir la croyance en un danger qu’il y aurait à porter atteinte à la nature humaine ou à l’espèce. Une joyeuse confusion est entretenue entre ces termes, qui appartiennent pourtant à des cadres sémantiques et politiques bien différents, sans que ne se pense une réévaluation de la complexité des enjeux face à la nouvelle donne des savoirs et des pouvoirs. Les débats dit nouveaux portent sur la place à accorder à l’embryon dans la cité, or nous avons vu en introduction qu’ils ne font que renouveler l’histoire de conflits épistémologiques forts entre fixisme et transformisme notamment.

Même s’il est vrai que presque toutes les cellules humaines contiennent le mélange de deux génomes humains, la génomique risque précisément de remettre en cause ce qui, pour certains, donne une valeur si grande à l’embryon, et qui relève d’une philosophie essentialiste de la nature. La question philosophique qui nous intéresse est de savoir si l’hétérogénéité entre sciences humaines et sciences de la nature est inévitable. La question subsidiaire est de savoir si un compromis est possible entre ces épistémologies hétérogènes ou s’il faut admettre penser la révolution que suppose la génomique en termes de représentation de l’humain.

Si la vaste complexité de l’humain ne peut certes s’expliquer par quelques 30000 gènes, pouvons-nous faire l’autruche face aux responsabilités que suscitent les connaissances que nous apportent les bio-sciences ? Il me semble que nous n’ayons d’autre alternative anthropologique que d’ouvrir un dialogue dépassant le traditionnel clivage entre nature et culture. Il n’y a pas d’autres moyens d’éviter les deux écueils idéologiques de l’essentialisme et du scientisme, les deux faces de Janus du même conservatisme. Nous avons déjà traversé d’autres crises de représentations entre philosophie et science, qui toutes portaient atteinte à notre narcissisme anthropomorphique. Il ne suffit cependant pas que les éléments du débat apparaissent rationnels pour que le discours soit « humaniste ». Les violences les plus grandes éclatent souvent en réaction à cette dure réalité de décentrement narcissique provoqué par chaque avancée scientifique touchant à la définition de la nature de l’humain. La maîtrise du vivant est vécue comme un biopouvoir inquiétant par les citoyens les plus vulnérables, en occident comme dans les pays émergeants, qui n’ont souvent pas d’autre issue que de la rejeter, plutôt que de subir les effets de son pouvoir. Pensons aux sociétés traditionnelles dans lesquelles la manipulation du vivant occupe encore, via le religieux, la place de la science dans les sociétés développées d’aujourd’hui.

Comment penser le fait que le génome humain nous définisse à la fois similaires et tous biologiquement différents ? Il est question de comprendre l’évolution génétique et culturelle de l’humanité, notamment grâce aux mutations, propriété intrinsèque du génome. Comment faire sens alors de l’angoisse millénariste face au danger que pourrait représenter la modification « artificielle » du génome humain ? Y aurait-il une variabilité bonne et naturelle, et une autre mauvaise car techno-scientifique ? Le problème serait-il plutôt dans la manière dont la « manipulation » génétique humaine nous amène à hiérarchiser différents stades de développement (gamète, embryon, fœtus, individu né) ?

2.3.1 L’inquiétude d’Habermas

Le philosophe allemand Habermas, dans son manifeste « L’avenir de la nature humaine », s’interroge sur la puissance de transformation du génome humain que donnent les sciences de la vie. Tout se passe comme si deux natures humaines, l’une biologique l’autre historique et culturelle, s’affrontaient, ce qui n’est qu’une remise à jour du débat heidegerrien sur le danger du mélange entre nature et technique, qui risquerait d’instrumentaliser la nature humaine [17]. L’idée même de stade biologique du développement est hostile à cette vision essentialiste de l’humain donnant un statut ontologique intrinsèque à tout embryon. Cet argument doit-il échapper à tout regard critique au nom du pluralisme démocratique ou sommes-nous dans ce débat bioéthique dans l’amalgame classique entre savoir et idéologie ? Quel est le rôle ou la fonction du discours bioéthique dans ce débat ? Le dernier livre d’Habermas dénonçant l’eugénisme démocratique a donné à nombre de politiciens un semblant de réponses claires à ce propos, qui leur a permis d’élaborer des lois dans l’urgence du danger que pouvait représenter le crime irréversible contre l’humanité perpétré par la science.

Tous ces anathèmes peuvent-il néanmoins être considérés comme des arguments, rendant illégitime toute recherche sur l’embryon ou sommes nous face à des amalgames savamment manipulés par les politiques, et de manière plus inquiétante par les philosophes eux-mêmes ?

Nous ne pouvons donc traiter ici de la question philosophique que constitue la volonté politique de faire de l’embryon un membre de la cité, sans nous référer un tant soit peu à l’histoire de ces notions philosophiques, et en les distinguant de toute manipulation idéologique dont les enjeux devront être éclaircis. Tout débat bioéthique révèle une crise du jugement face à une technologie, ici le transfert de noyau. Il consiste à prélever le noyau d’une cellule d’un organisme adulte et à le transférer dans l’ovule énucléé d’un organisme de la même espèce, qui donne à cette cellule nouvelle les propriétés d’un embryon qui aurait été produit par fécondation (in vitro ou in vivo) d’un ovule par un spermatozoïde. Biologiquement, cela remet en question l’idée selon laquelle le génome de l’œuf fécondé contient la totalité du programme de développement, puisque des re-programmations des cellules germinales sont désormais possibles. Cet acte technique bouleverse les repères normatifs de la filiation, d’un point de vue juridique, éthique, et politique [18].

2.3.2 Le corps et le politique

La question du lien entre morale et politique, dès qu’il s’agit du corps, soulève fondamentalement le problème de savoir si l’empire de la morale peut s’étendre à toutes les activités humaines individuelles ou collectives, et si le politique doit se confondre avec la morale commune ou fonctionner, au contraire, comme tiers médiateur et régulateur entre individus. Quelles sont les raisons ethico-politiques d’interdire ces techniques [19], avant même que le clonage reproductif soit réalisable ? Que représente l’idée de reproduire un être génétiquement identique en termes de symbolique sociale ? Mais surtout qu’est-ce qui justifierait qu’une vision symbolique de l’humain prévale sur une autre et puisse criminaliser la reproduction a-sexuée [20] ? Comment juger, face à l’absence de critères partageables et au discours anxiogènes qui mènent au repli identitaire, non seulement en termes nationalistes mais en termes d’identité de l’humain ? Nous constatons une résurgence forte de l’autorité morale de l’état, qui répond par plus d’État à la fragilisation de la référence identitaire, ce qui ne peut se justifier par le syndrome du 11 septembre. Ce phénomène exigerait pourtant de redéfinir avec audace les limites du pouvoir de l’état à intervenir sur les questions qui relèvent du corps propre, et non du corps social, telles que la mort et la reproduction. La procéduralisation du biodroit doit précisément établir des limites à l’autorité de l’État sur la vie et la mort. Comment analyser dès lors les récentes modifications des lois de bioéthiques françaises, où réapparaît un dirigisme étatique au nom de la morale universelle, qui met de fait entre parenthèses les droits subjectifs ? Les partis conservateurs ont traditionnellement légitimé l’intervention de la loi et de la justice pour réprimer la licence de mœurs, alors que les partis progressistes revendiquent, de manière parfois naïve, une liberté qui fait fi de tout déterminisme social ou biologique. Le paradoxe autour de la question du clonage de cellules souches est qu’il semble y avoir un consensus entre la gauche et la droite, car la gauche revendique la subordination individuelle à des causes collectives et que préserver l’humanisme est une cause à défendre collectivement. La confusion entre différentes approches de l’humanisme s’opère du fait que l’expérience des totalitarismes et de l’histoire de l’eugénisme d’État a rallié les esprits à la nécessité de règles morales supérieures permettant de définir ce que Rawls appelle un « droit des gens » [21]. Mais ici l’État de droit se fait le porte-parole de tous et met précisément en cause le droit des gens contre l’état, fut-il l’état de droit. C’est précisément sur ce consensus qu’il va falloir s’interroger pour que le dissensus puisse rester le ferment de la démocratie.
Je poserai comme hypothèse que le débat est d’autant plus houleux que le spectre du clonage reproductif asexué remet radicalement en cause le modèle patriarcal du politique, tout parti confondu. Ce modèle était fondé sur une représentation de la filiation liée à la hiérarchie de nature entre les sexes, ce qui n’est pas sans poser problème dès lors que la reproduction peut se faire de manière a-sexuée, et échapper ainsi à la traditionnelle division des genres et à la hiérarchie sociale qu’elle semblait engendrer de nature.

Ainsi l’argument de pente glissante entre clonage thérapeutique et clonage reproductif, a été d’autant plus remarquable qu’il est immédiatement devenu une question biopolitique aiguë, en ce qu’il repose la question du lien entre biotechnologies, normes sociales, et droits individuels. L’Arrêt Perruche et la loi faisant du clonage un crime contre l’humanité [22] sont les symptômes de cette crise des représentations en France.

Comment dès lors prendre une distance réflexive face au débat du clonage, si ce n’est par le biais d’un regard historique et critique de la technique qu’il représente, puisque nous ne pouvons parler encore que d’avancées scientifiques, pouvant être utilisées dans un avenir plus ou moins proche en vue de clonage reproductif. En effet, comme le souligne Marcella Iacub [23], le clonage est un crime sans victime, « Un crime contre l’humanité » [24] avant même qu’aucun clone n’ait pu naître ou mourir. Il s’agit donc bien d’un crime sans sujet, ou métaphysique, car c’est l’idée d’humanité, de personne humaine, que l’on assassine. La confusion sémantique entre individu biologique et personne humaine semble être totale. Nous analyserons ces effets politiques dans le chapitre suivant.

2.3.3 De l’argument ontologique au meurtre métaphysique

L’arrêt Perruche a provoqué une crise du droit français, fort bien analysée dans l’ouvrage d’Olivier Cayla et de Yann Thomas, qui y ont montré l’inflation fétichiste de la notion de dignité lorsqu’elle est appliquée à l’embryon, qui défait toute cohérence de nos catégories anthropologiques.

Ils dénoncent en effet l’argument ontologique : « il n’y a pas d’ordre politique concevable où la vie de l’être humain puisse être pensée et organisée, abstraction faite de sa causalité naturelle » [25]. Cet argument n’est-il pas remis précisément en question par les techniques de reproduction assistée ? En effet, la confusion des débats « bioéthique » et politique dans les pays fondés sur les principes universels des droits de l’homme, pensés comme droits naturels, est que l’on y confond le plan de la Nature et de la biologie, ainsi que la question du sujet métaphysique et de la personne déontologique. Olivier Cayla et Yann Thomas ont montré, par exemple, dans les avis du comité d’éthique français :

« La vie procède de la seule génération biologique, abstraction faite de ce à quoi engagent aujourd’hui les connaissances renouvelées que l’on en a, abstraction faite de la distance que les savoirs et les pouvoirs ne cessent de creuser entre la nature et nous ».

C’est ainsi que le statut de l’embryon et l’élargissement à l’absurde du concept de personne au fœtus et à l’embryon est devenu un enjeu politique majeur de notre temps, qui divise profondément les partis politiques et, au sein de la communauté européenne, les anciens membres et les nouveaux membres, appartenant pour la plupart à des pays catholiques traditionalistes.

L’union organique avec la mère interroge le lien au plan patrimonial. L’enveloppe utérine, grâce à la médiation biopolitique de la médecine, ne fait aujourd’hui plus écran à l’investigation politique, et permet l’individuation affective de l’embryon et du fœtus que d’aucuns voudrait élargir à la sphère juridique. L’imagerie médicale, en donnant une visibilité sociale à l’embryon, a eu des conséquences politiques sur les droits reproductifs des femmes, récemment remis en question par les partis conservateurs, aussi bien en Europe qu’aux États-Unis. Tout aurait commencé avec la légitimation de la reproduction assistée, qui entérine un ethos social dominant, permettant aux comités d’éthique d’intervenir légitimement comme instance extérieure de contrôle des pratiques reproductives. Cette approche a été confirmée par l’usage du concept d’embryon comme « personne humaine potentielle » par les lois de bioéthique françaises en 1994, alors que l’on n’hésitait pas à congeler ou à sélectionner, à expérimenter, suivant en cela l’ordre dit naturel, puisque les trois quarts des embryons ne s’accrochent pas dans l’utérus et sont éliminés, naturellement.

2.4 Ce qu’a changé la procréation médicalement assistée

Si dans le débat qui nous occupe, de la place à accorder à l’embryon dans la cité, chaque protagoniste avance ses propres critères pour justifier ou non le statut juridique et politique de l’embryon, le réseau décisionnel autour de l’embryon inclut de plus en plus de protagonistes depuis que la procréation médicalement assistée l’a délocalisé pour en faire un nomade de laboratoire. Son statut diasporique reste néanmoins attaché à la finalité qui lui est octroyée, et qui n’est plus nécessairement d’être porté pour devenir une personne, et donc un membre de la cité.

Il arrive alors que les protagonistes de la fécondation in vitro s’affrontent pour savoir qui d’entre eux est le plus qualifié pour parler dans l’intérêt de l’embryon. La médicalisation de la reproduction a atteint un stade sans précédent. Elle affecte la modalité sociale de distribution des obligations et responsabilités professionnelles des médecins généticiens, dans un modèle qui peut être soit patriarcal soit délibératif. Cette délocalisation de la fécondation du ventre de la mère à la boîte de Pétri, change la prééminence des protagonistes quant à la prise de décision concernant un embryon dont la pathologie deviendrait visible ou du moins identifiable par diagnostic préimplantatoire. Le déplacement de la fécondation de l’embryon, du corps de la femme au laboratoire, remet-il en question le pouvoir de prise de décision de la femme sur le destin de l’embryon, au nom de sa médicalisation ? Il semblerait que là se trouve l’enjeu de l’individualisation de l’embryon, comme le dénoncent certaines féministes.

« La technologie de la grossesse que notre civilisation a développé est une technologie de la séparation et de l’individuation, et cette technologie conduit à reconnaître le fœtus comme entité séparée de la mère. » 26

Que dire du pré-embryon ? La femme enceinte doit-elle se considérer comme une ou deux entités (ou personnes) ? Et dans ce dernier cas, quelles sont en priorité les droits respectifs de la femme et de l’embryon ?

On ne peut nier que la survie de l’embryon dépende encore du maintien d’un lien biologique au corps de la femme. Même si la procréation médicalement assistée a conduit à affaiblir dans les représentations le concept d’inséparabilité biologique entre la femme et l’embryon, elle conduit de fait à une relativisation du rôle de la femme dans la grossesse.

Si le corps de la femme n’est plus le lieu privilégié de la conception, la future mère reste-t-elle néanmoins juridiquement la responsable principale du sort de l’embryon ? Le glissement vers la « notion de demande parentale » qui semblait égalitariste est trompeuse, car elle privilégie la conception, et donc la rencontre du matériel biologique, sur la grossesse. Ce choix n’est pas neutre en termes normatifs car il remet fortement en question la loi sur l’avortement comme référence normative, déterminant qui est en droit de prendre une décision sur le sort de l’embryon précoce [27]. La loi prend néanmoins pour référence la situation où l’embryon est à l’intérieur du corps de la femme, alors que l’embryon candidat à la FIV ou à l’expérimentation est à l’extérieur du corps de la femme. Cela devrait-il changer la prééminence de la mère dans toute décision relative à l’embryon ? Seulement si l’on donne précisément un statut de personne à l’embryon !

Qu’implique alors la notion de consensus à établir sur le statut de l’embryon, si celui-ci n’était pas basé sur une responsabilité progressive envers cet embryon ?

Il semble que chacun y gagnerait à rétablir le lien corporel et /ou relationnel qu’ont les femmes à leur embryon. Elles restent, dès que la médecine a joué son rôle éventuel d’assistance à la fécondation, les meilleures protectrices du devenir futur des embryons, destinés à devenir des personnes, dans la dignité intersubjective qui se construit, non pas dans la seule fusion des gamètes, mais dans le processus relationnel de la grossesse.

2.5 A partir de quand est-on une personne ?

Anne Fagot-Largeault et Geneviève Delaisi de Parseval avaient publié dans la Revue de Métaphysique et de Morale de 1987 (n°3), un article qui a fait date, intitulé « Les droits de l’embryon, fœtus humain et la notion de personne potentielle ». Les questions se posaient apparemment différemment pour définir si l’embryon pouvait être considéré comme une personne. Je vais m’efforcer de résumer ici les arguments qui restent pertinents pour notre problématique, qui est de savoir à quelles conditions l’embryon doit être reconnu comme un individu auquel nous devons une protection morale et juridique. Ma deuxième question sera d’évaluer pourquoi nous avons la volonté de donner au sémantème embryon un statut particulier, au point de vouloir limiter les recherches scientifiques portant sur cet être en suspens (dans ou hors le corps de la femme) ?

La première question posée par Fagot-Largeault et Delaisi de Parseval est celle d’une responsabilité individuelle de la mère versus une responsabilité collective envers l’enfant à naître. Pour répondre à cette question il faut, disent-elles, repenser la pertinence d’un statut juridique de l’embryon.

Comment fonder un consensus social sur une question si privée ? Peut-on commencer à poser cette question en termes de droit public avant de la poser en termes de droit subjectif de la femme ? Le principe du respect de la personne humaine, tel qu’il a été défini par Kant, a été repris dans la déclaration universelle des droits de l’homme, et stipule que les droits de l’homme n’existent juridiquement qu’à la naissance. Le fœtus n’a donc de statut juridique de personne qu’à la naissance, ce qui dans notre société de l’image semble contre-intuitif. L’œuf est devenu transparent et le discours sur l’enfant à naître a été chargé de projections affectives, alors même que nous devons nous rappeler que le concept d’enfant n’a émergé qu’au 19e siècle. Devons-nous nous réjouir de cet élargissement du spectre du respect à l’embryon ? La question mérite d’être posée en contexte. Le fondement contemporain de la fraternité humaine reste le principe selon lequel :

« Tous les hommes naissent et restent libres et égaux en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. »

Pour rappel, la phase embryonnaire est divisée en trois étapes :

* cellules totipotentes du zygote (chacune capable de développer un nouvel organisme complet),

* cellules blastocystes pluripotentes, ayant la potentialité de développer des organes et des tissus,

* cellules différenciées en types de cellules neurales, pancréatiques, etc.

Pouvons-nous fonder le statut de la personne sur le seul développement biologique ? L’incertitude demeure quant au statut ontologique de l’embryon puisque la définition semble conventionnelle et donc historiquement déterminée.

Deux positions extrêmes s’affrontent : l’une essentialiste, l’autre existentialiste :

1. Il suffit pour être une personne d’appartenir à l’espèce humaine, de posséder le génome humain : le critère est biologique, voire vitaliste.

2. Il faut, pour être une personne, posséder assez de conscience et de raison pour entrer dans la communauté des sujets libres : « le critère pertinent est éthique ou culturel. »

2. 6 Définir l’embryon au-delà du dualisme choses–personnes

On a reproché aux « intégristes » de la thèse biologique de confondre vie humaine et personne humaine. Mais cette confusion n’est–elle pas à la base même de la thèse ? La difficulté posée par cette thèse est qu’elle ne permet pas de distinguer le respect de l’homme par l’homme d’un égoïsme d’espèce.

On est en droit de s’étonner que des esprits religieux convaincus de la destinée spirituelle de l’humain se basent, pour prouver la thèse biologique, sur des arguments génétiques fallacieux. Cette ontologie substantialiste est équilibrée, nous dit-on, par une ontologie relationnelle.

Les biologistes sont mis hors discours, car ils n’ont rien à dire sur la personnalisation de l’embryon humain, qui est réduit à un construit culturel. Inversement, la biologie semble donner malgré elle aux essentialistes une caution objective à la doctrine de l’animation immédiate.

Cette position permet de refuser l’idée d’un stade pré-personnel du développement de l’embryon. L’église observe néanmoins une certaine prudence et ne s’engage pas dans une affirmation philosophique, mais dans la volonté d’un comme si qui tiendrait lieu de projet moral. On doit faire comme s’il était une personne, car ce serait une faute grave de prendre le risque d’un homicide.

Nous ne sommes donc déjà plus ici dans un discours ontologique, mais dans un discours du risque, qui engage des mesures juridiques de précaution. Le principe de précaution ne peut déterminer, a priori, la valeur devant être accordée à l’embryon. Ce risque a amené à l’argument de la pente glissante, sous des formes extrêmes : « Il faut interdire aux chercheurs d’observer le développement in vitro de l’œuf fécondé car sinon ils ne pourront s’empêcher de manipuler et que toute manipulation est une menace à l’intégrité de l’œuf. » Nous retrouvons là encore un déséquilibre entre droit de la recherche et droit des personnes qui ici sont « potentielles. »

L’église dénonce dans le contrôle de la fertilité humaine « une dynamique de violence et de domination ». On retrouve la formulation laïcisée de cet argument dans l’avis français :

« Il faut éviter qu’un rapport de toute puissance ne s’institue sur l’humain au nom de progrès scientifique. Le principe du caractère sacré de la vie, lui, est censé impliquer un droit du vivant à la vie, qui implique pour la communauté humaine un devoir de le faire vivre. »

Ce principe appliqué à la période anténatale est problématique si l’on sait que dans les conditions naturelles de procréation, deux œufs fécondés sur trois meurent au cours des 6 premières semaines. Or, depuis le diagnostic prénatal ou génétique, nous accédons à des connaissances permettant de rectifier les « sélections de la nature », voire de choisir nous-mêmes quel embryon peut exister avec une qualité de vie suffisante ou pas. Le vocabulaire change légèrement et l’on parle de respecter « la loterie génétique », « les étincelles de hasard [28] » sur lesquelles se fonderait la singularité de la condition humaine.

C’est la question de la liberté du choix qui est finalement perçue comme un risque inassumable. Comment faire sens de cette peur ? Testard allait jusqu’à parler en 1986 d’une «éthique des non-recherches », ce qui n’est certes pas un moyen acceptable de résoudre de manière libre et responsable le dilemme apparent entre liberté de la recherche et liberté des convictions plurielles.

Si l’on suit la position biologique jusque sur le plan législatif, tout devrait être interdit en termes de recherche sur la procréation, et la procréation médicalement assistée perdrait toute légitimité, ainsi que le diagnostique préimplantatoire.

En 1984 l’Australie se dotait d’une législation qui n’interdit pas la recherche sur l’embryon, mais bien la création d’embryons à but de recherche. Cette distinction a été reprise par le comité français en 1986. Singer et Khuse (bioéthiciens australiens) argumentent, contre cette différence, que l’intention dans laquelle l’embryon a été fabriqué ne fait aucune différence pour l’embryon. L’église parle alors d’un droit de l’embryon à être conçu par «méthode naturelle ». Les juristes s’y opposent car l’on ne peut contraindre les femmes dans leur liberté, comme on prétend contraindre la conduite d’une recherche, ou accorder aux embryons artificiels des droits inférieurs à ceux des embryons dits « naturels. »

Comme le dénonce Anne Fagot-Largeault :

« Derrière la rigidité des principes posés, il y a une vision tragique de la vie morale selon laquelle lorsque l’homme substitue ces décisions à celles de la nature, il ne peut qu’altérer celle-ci et faire le mal. » (op.cit.)

Une vision Prométhéenne ne verrait au contraire le bien que dans la liberté qu’a l’homme de pouvoir interférer avec les lois de la nature. Ces deux visions nous apparaissent aujourd’hui comme réductrices.

Pour la bioéthique, qui se nourrit essentiellement des discours néo-kantiens, tels ceux d’Engelhardt, Dworkin, Arendt, Ricœur, c’est l’autonomie du vouloir qui fait la dignité humaine.

« Le respect pour la personnalité en l’homme est un respect pour tout autre chose que la vie », disait déjà Kant.

Nous ne saurions donc appeler à l’autonomie un être qui n’en a pas la capacité, nous dit Engelhardt en 1986.

L’embryon n’est qu’une personne probable, et il serait incohérent d’un point de vue éthique de donner le même statut à une personne probable qu’à une personne réelle. Ce choix du terme probable contre le terme potentiel établit une différence idéologique importante entre les discours continental et anglo-saxon. Ceci nous amène à la question suivante : le concept social de personne doit-il être plus large que le concept éthique de personne défendu par les néo-kantiens ?

Nous avons vu que les positions essentialiste et existentialiste radicalement opposées restent d’accord sur un point : chaque position est respectable en termes individuels mais aucune n’est globalement praticable comme choix de société.

Comment fonder philosophiquement une position intermédiaire, entre dénier à l’embryon humain tout statut personnel et conférer à une cellule la même dignité morale qu’à un être raisonnable, qui sont finalement toutes deux contre-intuitives ? Le point de vue pragmatique développé par le rapport Warnock était de conclure : puisque nos positions philosophiques sont inconciliables, laissons-les de côté, cessons de nous demander quand l’embryon devient une personne, cherchons à partir de quand il devrait avoir le droit d’être protégé, car ce qui doit être ne découle pas de ce qui est ! Cette position pragmatique a permis de développer une ontologie progressive, empirique, en dialogue avec le matérialisme inhérent à la démarche scientifique.

Cette position se situe à l’opposé de la notion de personne potentielle issue de la sagesse pratique d’Aristote, évoquée en 1984 par le Comité Consultatif National d’Éthique français (CCNE) et par le comité permanent des médecins de la communauté européenne. Le camp personnaliste parle de mystification consistant à confondre futur et présent (Tooley, 1983). Engelhardt lui, préfèrera dire que l’embryon est une personne possible (1986).

Dans le camp vitaliste, on préfère dire que l’embryon est une personne actuelle. Le CCNE, qui maintient la dualité choses-personnes, tire l’embryon plutôt du côté de la personne : « On doit respecter dans l’embryon humain à la fois une singularité individuelle et une idée de l’espèce. »

C’est cette tension qui est précisément au cœur du débat politique sur les risques d’eugénisme que permettrait la sélection d’embryon ou le risque d’inhumanité supposé émerger de la naissance d’individus par les techniques de « clonage ». Toutes ces positions morales ont des effets politiques évidents, notamment et comme nous l’avons vu plus haut, sur la liberté reproductive des femmes. Comment dès lors renouer un lien entre ontologie relationnelle et éthique, lorsqu’en tant qu’individus ayant des droits personnels nous devons élaborer des lois qui fonctionneront en termes de Droit Public ? Tel me semble être le défi à surmonter si nous voulons préserver le pluralisme des volontés et leur protection par une raison pratique.

3. Les états de droits face aux droits subjectifs

La procréation médicalement assistée fut considérée déjà en 1994 comme le cheval de Troie du nouvel eugénisme libéral, comme le déclarait Testard :

« Là où le diagnostic prénatal permettait d’éliminer le pire par élimination, le diagnostic préimplantatoire va élire le meilleur, par sélection » [29]

L’idéologie de la pente glissante est très vite utilisée et sera cautionnée en 2002 par l’autorité morale que représente Habermas qui, comme nous le verrons, défend, quoique plus finement, les mêmes arguments, basés sur l’option philosophique et déontologique de donner un statut de personne à l’embryon, afin de prévenir toute dérive de procréation non sexuée menant à une forme de parthénogenèse. Tout se passe comme si la réification croissante des embryons entraînait une réification du modèle patriarcal lui-même, qui est plus fantasmatique que réel, comme l’a montré Françoise Héritier dans « Masculin féminin. » Tout se passe comme si le monde bipolaire et hiérarchisé du patriarcat, inscrit dans la métaphysique occidentale, était mis à mal par la perspective gradualiste remettant en cause le dualisme cartésien et semblant confirmer l’efficacité d’une philosophie moniste et matérialiste, comme seule capable de co-exister avec l’épistémologie des sciences biomédicales.

3.1 Bioéthique et nature humaine

Cette thématique du risque envers l’identité de la nature humaine comme nature sexuée s’amplifiera en France avec l’affaire Perruche et la loi Mattei, assimilant la manipulation de cellules embryonnaires à un crime contre l’humanité. L’arrêt Perruche entérinait le fait que la reproduction assistée implique une gestion biopolitique de la qualité de la vie humaine. En effet, l’affaire Perruche a clairement montré que la question biopolitique de « qui décide » de l’avortement thérapeutique était une question politique. Si le politique est fondé sur le modèle patriarcal de la filiation (kin-king-kinship) [30], subvertir le modèle temporel de la filiation par le clonage reproductif, qui n’est qu’une technique améliorée de la PMA, reviendrait théoriquement à subvertir le modèle hiérarchique du politique. Tant que le clonage reproductif était techniquement impossible, il n’avait pas besoin d’être interdit. Les techniques reproductives, en rendant possible la fabrication de l’humain, brouillent de manière irréversible toute représentation idolâtre de la nature humaine. Là se situe toute la question. Si le politique régulait le possible, et que le clonage reproductif devenait, grâce à des lois, impossible, deux alternatives s’offriraient au politique :

1. déclarer ce possible impossible (loi Mattei, instituant « le crime métaphysique contre l’humanité »),

2. affronter de manière préventive les conséquences de ce possible en le régulant, comme toute autre question de bioéthique, de manière anticipée [31].

Le clone ne pouvant pas être refusé comme n’appartenant pas biologiquement à l’espèce humaine, un autre motif d’exclusion devait être inventé. Il fallait en faire un paria, paradoxalement un être exclu du droit de naître : il transgresserait la naturalité de la reproduction humaine.

Comment adapter, face à ce coup d’état paternaliste, qui protègerait l’humanité contre la post-humanité, le droit à une médecine reproductive, pour lequel le processus de génération relève de fait, de moins en moins de la nature et de plus en plus de la techno-culture ?

Dans le droit positif, sur lequel s’appuie la « légitimité » de cette décision politique, on ne protège plus l’individu dans ses droits de la personnalité, institués depuis le code de Nuremberg, car on place, au nom d’une ontologie supposément universelle, les droits métaphysiques de l’humanité avant ses droits subjectifs. Ne pourrait-on pas dire, précisément du point de vue de l’histoire, que ce crime contre l’humanité relève d’un humanisme réactionnaire qui prétend sauver le concept métaphysique d’humanité contre l’intérêt de personnes à naître, selon le prétexte qu’elles seraient fabriquées, et non nées naturellement ?

3.2 Doit-on opposer principes intangibles et transgression émancipatrice ?

La confusion sémantique entre techniques dites du « clonage thérapeutique » et du clonage « re-productif », simple suite logique des techniques de procréation médicalement assistée, produit des amalgames entre les jeux de langage de ses différentes disciplines, avec des enjeux socio-politiques qui n’ont plus rien à voir avec les techniques décriées.

Face aux débats éthiques qui se partagent les doxas existantes, les choix d’une conviction philosophique plus ou moins explicitée divisent les partis politiques et accentuent leur identité progressiste ou conservatrice. Le Président Bush a par exemple récemment interdit, pour des raisons électorales, la recherche sur cellules embryonnaires, une régression par rapport aux gouvernements démocrates précédents qui avaient eux légitimé cette recherche [32]. Mais en analysant la carte de ces interdictions, nous sommes frappés par le fait qu’elles constituent un patch incohérent qui se fonde sur l’incertaine alternative des potentialités de la recherche sur cellule souches adultes.

Comme dans toutes formes de reproduction assistée, ces techniques, contrairement aux frayeurs du grand public, ne deviendraient pas la norme, et resteraient exceptionnelles même après régulation ! L’ordre social n’a pas été particulièrement changé, comme l’annonçait pourtant avec fracas les médias, après la naissance de la petite Louise Brown. Les présupposés du droit naturel, du droit patrimonial, et du droit de la famille, apparaissent plus fragiles, voire issus d’une construction narrative parmi d’autres, ce qui remet en cause l’idée des fondements nécessairement patriarcaux du politique. C’est ainsi que l’on peut comprendre que les régimes politiques voulant légitimer cet interdit de la recherche aient tant insisté sur l’incertitude de ses résultats, face à la potentialité des cellules souches adultes, qui permettraient de ne pas toucher aux cellules embryonnaires controversées, pour raisons religieuses ou relevant du droit naturel.

Depuis cette décision, la plupart des lois fédérales aux États-Unis non seulement suspendent la recherche liée au clonage thérapeutique mais criminalisent le clonage reproductif et confondent, de manière inquiétante pour la démocratie américaine, les débats du congrès et ceux des laboratoires de recherche [33].

3.3 Débats bioéthiques et états de droit

Le clonage est, comme nous l’avons vu, le symptôme le plus médiatique de changement de paradigme sur les représentations de « la nature humaine » et de la filiation biologique. Il ravive la question de la place du droit naturel dans la culture démocratique, mais aussi la limite de ce débat dans un monde où la démocratie reste un privilège et la liberté constructiviste, par rapport au déterminisme biologique, est encore perçue comme une violence à la nature, par tous les tenants de discours essentialistes, allant des fondamentalismes religieux aux essentialismes écologiques ou féministes.

Comment dépasser ce débat d’opinions qui mène au relativisme le plus incohérent, et affirmer le respect des droits subjectifs dans un cadre de droit public minimal ? C’est là tout le débat entre libéralisme et communautarisme.

Ainsi les questions Comment juger ? Qui décide ? Pour qui ? Jusqu’où ? n’ont pas trouvé de fondement clair dans les débats bioéthiques américains ou européens. Suffit-il de créer des comités d’éthique, « des magistères bioéthiques » [34], pour garder l’idée d’un corps donné et à protéger, ou faut-il radicalement repenser le rapport au corps face aux connaissances que nous apportent les biotechnologies ? Comment affronter le fait que certaines connaissances heurtent nos valeurs socio-politiques et sont par là-même rejetées avant que d’être comprises ?

La réponse à ces questions permettrait, au lieu de s’abriter derrière le relativisme ou le scepticisme envers tout discours éthique, d’élaborer un universalisme minimal fondé sur des principes à rattacher à un droit positif, et non à l’idée d’un droit naturel, qui semble anachronique aux défis bioéthiques que nous avons à affronter. Le manque d’imagination en bioéthique réduit le champ de l’argumentation à l’heuristique de la peur ou à la dénonciation d’un eugénisme libéral qui enlèverait toute pertinence au modèle du consensus ouvert sur lequel les démocraties participatives se doivent de fonctionner pour assumer le risque de la liberté. L’échec face à l’impératif de penser à neuf nos rapports à nos catégories politiques d’individu et de personne humaine risque, dans le climat sécuritaire de ces dernières années, de redonner la part belle aux fondamentalismes. Nous avons besoin pour y résister d’un minimum de cohérence interne de nos systèmes de référence juridiques, normatifs et décisionnels. C’est ici que l’enjeu du discours bioéthique comme lieu de construction de consensus des convictions morales trouve à la fois sa signification politique et ses limites. La question méthodologique demeure de savoir comment un discours bioéthique, dont les principes sont en perpétuelle tension, peut jouer le rôle de conciliateur social, entre des positions morales qui, bien que plurielles, exigent une cohérence interne et une compatibilité avec l’idéal démocratique.

En ce qui concerne le statut de l’embryon, sera-t-il possible d’élaborer, comme pour l’avortement dans les années 80, un critère pratique de légitimation de la recherche sur cellules souches, pour que la régulation de la recherche sur l’embryon n’empiète ni sur les droits subjectifs des femmes ni ne crée de conflits d’intérêts factices entre femmes et embryons ? Pour les décideurs, les enjeux ne sont pas encore épistémologiques, et demeurent des enjeux de pouvoir religieux ou économique, qui font fi des droits des individus concernés. La question récurrente reste : qui peut légitimement parler pour l’embryon ?

3.3.1 De l’utérus à la cité

Comment l’élargissement du concept de personne à l’embryon peut-il remettre en cause les droits reproductifs ? Les réflexions sur le statut de personne, qui ont émergé avec le débat sur la légitimité de l’avortement, ne nous engagent ni ne nous dégagent des croyances ou des vues métaphysiques traditionnelles de l’ontogenèse humaine. Elles nous forcent à penser la tension épistémologique entre le matérialisme de la génétique et les représentations métaphysiques inhérentes à nos institutions politiques, plus ou moins laïcisées. La sacralisation du patrimoine génétique a mené à une loi idolâtre voulant protéger celui-ci, contre les personnes.

Si le patrimoine génétique a du sens, il ne peut, sans nous faire régresser à un réductionnisme anthropomorphiste, souscrire à l’idée qu’il constitue la cause immuable et non manipulable de toute vie, le créateur de l’organisme dont nous, en tant que personnes, ne serions que les porteurs contingents. Les personnes sont issues d’histoires dont elles s’efforcent, au-delà de leurs déterminismes biologiques, d’être les auteurs et non les exécutants. De plus, les connaissances biotechnologiques nous ont fait passer de l’ère du hasard de la naissance à celle de la difficile responsabilité du choix de mener à terme une grossesse.

Comment dès lors interpréter le fixisme de modèles politiques qui refusent la gestion du hasard en en faisant l’origine sacrée de la vie [35] ? Cette pensée dualiste oppose nécessairement déterminisme biologique et liberté humaine, illustrant l’idée de Spinoza selon laquelle il suffit de ne pas comprendre pour moraliser, alors que l’éthique consiste à établir une typologie des modes d’existences en renversant le système du jugement (bien-mal) pour lui substituer la différence qualitative des modes d’existence. Telle serait ou devrait être la différence entre bioéthique et moralismes.

Derrière l’argument moral de la protection de la vulnérabilité du fœtus, puis de la vulnérabilisation du concept d’humanité, que se cache-t-il ? Devons-nous construire une position a-morale qui mettrait fin aux conflits de convictions dans une démarche purement procédurale ? N’y aurait-il qu’un conflit entre libertés, qui pourrait se résoudre en termes de compromis sur le second ou le troisième choix des conflits d’intérêts entre protagonistes ? Au-delà de cette confusion entre sacré et qualité de la vie, des éléments sociologiques, des modes d’existence, entrent en jeu. Nous avons vu que la procréation dé-sexualisée a fait vaciller l’ordre juridique et politique puisque l’enfant n’est plus obligatoirement conçu ou porté dans le ventre de sa mère et que les parents biologiques peuvent être plus que deux. Ici l’ambiguïté majeure du discours se nourrit de l’assimilation entre les représentations de l’engendrement et de la filiation. Le prélèvement qui délocalise les embryons, la congélation, la manipulation hors du corps des femmes, l’insémination par donneur, le don d’embryons…, tout a été acclimaté dans le débat public, mais le clonage reproductif, qui en serait la suite techniquement logique, provoque l’hystérie législative. Cette perturbation du modèle synchronique de la filiation n’exige-t-elle pas de penser une autre théorie de l’hérédité [36] ?

3.3.2 De l’embryon au clone comme « expérience de pensée »

Il semble que lorsque nous parlons du clonage comme dérive de l’expérimentation sur embryon nous ne soyons pas à même de raisonner, car comment étudier le phénomène d’une idée ? Le clone d’humain n’ayant pas encore de visage, il n’a le visage de personne et tous les visages à la fois. Ce non-visage est réduit, par les politiques qui se mettent au service des médias, au masque de la personna. Il ne peut avoir pour écho que la tragédie de la présence-absence qui suscite tous les espoirs et toutes les craintes. Un tel objet ne peut qu’être pensé sur le modèle tragique de la perte.

Si l’on pense en termes d’expérience de pensée (« thought experiment ») que tout clone aura un visage, rappelons-nous, comme le dit Levinas dans « Totalité et infini », que

« Le visage est présent dans son refus d’être contenu. »

« L’altérité d’autrui ne dépend pas d’une altérité relative. » [37]

Cette altérité relative est ici son mode de fabrication. C’est sa capacité de langage qui en fera un être comme tout autre, « infiniment transcendant, infiniment étranger ». Cette pensée ferait cesser la mêmeté, qui est illusion et non l’étrangeté absolue de celui qui, étant fabriqué a-sexuellement, interromprait de fait l’ordre matricial et patriarcal, sans pourtant cesser d’être né, comme tout autre humain, d’une femme. C’est de cette interruption, de ce changement de paradigme, que naît l’angoisse, et non de la création jugée immorale. Le clonage humain restant virtuel, nous ne pouvons qu’en parler, ce qui amène nécessairement à un discours réifié et irresponsable puisque cet autre que serait le clone ne peut répondre devant le tribunal, qui lui accorderait ou lui refuserait le statut de personne. Les enfants de la FIV ont subi cette même exclusion spéculative. N’est-ce pas « la structure formelle du langage » qui annonce l’inviolabilité d’autrui [38] ? La paternité et la maternité intentionnelles ne devraient-elles pas, pour les deux sexes, être aussi importantes que la parenté biologique ou sociale ?

Pourquoi l’artificialisme de l’intention ne serait-il pas socialement plus signifiant que le partage d’un « patrimoine génétique » [39], comme l’a montré le juge de l’affaire Buzzancca (avec six parents potentiels) qui a défrayé la chronique aux États-Unis? La question du clonage peut être abordée par plusieurs biais et c’est précisément, il me semble, la confiscation de la pluralité des jeux de langage par une morale essentialiste qui fait de la représentation du clone un être monstrueux, in-humain par principe, et qui appauvrit le concept d’humanité en le réduisant à ce qui est, sans ouverture réflexive sur ce qui pourrait être.

Il semble dès lors que le pouvoir de l’horreur [40] ait un rôle et une fonction politique. Il crée une condition minimale du lien social, il construit autour de cet être imaginaire, le clone d’humains, un être condamné à ne pas exister au nom du principe de précaution. Ce pouvoir de l’horreur, ou heuristique de la peur, vient de manière commode mettre des limites au pluralisme éthique, mais surtout redorer d’angélisme un universel a priori de la notion d’humanité, qui se recristalliserait en négatif autour de l’horreur consensuelle provoquée par le mot clone. La fonction rhétorique de ce terme dans les textes internationaux rassure sur la révolution sémantique de nos catégories morales, que ne cesse de provoquer l’avancée des biotechnologies, depuis qu’elle touche à la mort et à la sexualité, chasses gardées, il y a peu encore, de la théologie et de la métaphysique. Cette crainte partagée permet de construire un consensus autour d’un magistère bioéthique dont la fonction serait, selon l’heureuse expression de Dominique Memmi, de rétablir dans une société sécularisée des gardiens du corps. N’est-ce pas la première réussite française d’une fécondation in vitro qui a précipité la création du Comité Consultatif National d’Éthique (CCNE) [41] ? Memmi montre bien, dans la sémiotique narrative des avis du CCNE, que ce qu’une lutte est en jeu entre « sujets et anti-sujets » [42]. Dans ce contexte, le clone serait l’anti-sujet par excellence.

Il est également intéressant de noter que les arguments se divisent à partir d’a priori philosophiques qui ont des conséquences socio-politiques. Cette idée mène à poser l’hypothèse que l’angoisse entretenue a pour fonction de maintenir une certaine structure sociale au nom de l’essence de l’humanité, alors que ces techniques démontrent précisément que la notion d’essence humaine n’a pas de sens, puisqu’elle est une rencontre entre déterminisme biologique et liberté. Cette liberté est précisément de plus en plus capable de modifier ou d’altérer les déterminismes qui nous constituent.

Ce constat a été établi en philosophie sociale dès les années 30, dans le courant de la théorie critique représentée par Horkheimer et Adorno. Mais même les auteurs qui, comme Habermas, ont défendu ce modèle en termes politiques et défendu ainsi le pluralisme, en viennent , face à la problématique du clonage, à adopter des positions proches de l’heuristique de la peur d’Hans Jonas, que nous avons dénoncées plus haut.

Habermas comprend bien que

«Les techniques de génétique du développement interviennent dans le lien inter-générationnel et le bouleversent de fond en comble. » [43]

Il en conclut cependant que l’extension des techniques de reproduction assistée efface la distinction entre eugénisme négatif et eugénisme positif. L’humanisme traditionnel veut en effet se prémunir de la manipulation des caractéristiques biologiques de l’homme. La menace de l’eugénisme est associée aux connaissances et aux techniques que la génomique met à notre disposition. Le but de cette opposition serait fantasmatiquement de maintenir l’essence de la nature humaine, là encore dans une perspective fixiste. Cette attitude nous invite à réfléchir à la naturalité de la morale, autrement dit à la légitimité du droit dit naturel. Habermas, dans « L’avenir de la nature humaine », ne critique pas véritablement

« (…) l’hypothèse selon laquelle la technicisation de la « nature interne » représenterait quelque chose comme une transgression des limites naturelles. » [44]

Ce que critique Habermas, c’est l’idée fantasmatique d’un designer qui « aiguillerait, selon ses préférences personnelles, l’identité d’une autre personne », ce qui met déjà Habermas dans le camp de ceux qui considèrent l’embryon comme une personne, et n’est pas neutre philosophiquement, comme nous l’avons vu. Selon Habermas, la génomique empiéterait sur « l’espace déontologique protégé, essentiel à la personne future. » Il me semble néanmoins que cet argument déontologique n’ait rien à voir avec la thérapie génique et relève d’un argument fallacieux, car la seule légitimation de la thérapie génique est sa visée thérapeutique et clinique, négociée avec les futurs parents. Il s’oppose explicitement à la philosophie anglo-saxonne, notamment à Nagel et Dworkin qui considèrent que ces thérapies corrigent la loterie génétique, en instaurant plus de justice. Pour ces auteurs, il s’agit en effet moins de définir le profil génétique d’un enfant que de corriger certaines données afin d’éviter le handicap grave. La sélection d’embryons non porteurs de maladies génétiques implique l’élimination légitime de handicaps, mais pas de handicapés. L’intervention précoce permet d’intervenir sur un matériel biologique qui ne peut être, dans leur perspective gradualiste, qualifié de personne. Habermas voudrait pourtant se situer non dans une perspective vitaliste de sacralisation de la vie, mais dans une perspective purement déontologique, où le consentement de la personne potentielle ne pourrait être demandé, ce qui annulerait la légitimité de l’intervention irréversible. Les parents ne pourraient qu’être les tiers complices du généticien « designer » :

« Nous ne pouvons (…) nous exonérer de la charge consistant à anticiper le consentement ou le refus possibles de la personne concernée. » [45]

Là encore nous retrouvons une prémisse qui n’est pas partagée par le droit et la déontologie médicale elle-même, selon laquelle l’embryon serait une personne. Il conforte son argument en ajoutant :

« Nous le pouvons d’autant moins si nous souhaitons autoriser, dans le cas de pathologies héréditaires lourdes, des interventions génétiques (voire des sélections) dans l’intérêt des handicapés eux-mêmes» [46]

Il évoque aussi l’argument de la pente glissante en ces termes:

« Mais est également recevable le pronostic qui prévoit que la limite de tolérance de ce qui est considéré comme « normal » du fait de l’accoutumance cumulative risque d’être repoussée toujours plus loin à la faveur de normes de santé toujours plus exigeantes – et d’interventions génétiques permises. » [47 ]

Pour éviter cette dérive, il propose une idée régulatrice consistant à soumettre « au consentement supputé, au moins de manière contrefactuelle », les personnes futures, ce qui revient à douter de la responsabilité des parents à défendre l’intérêt de leurs enfants car, ajoute-t-il : « Celui qui refuse une pratique eugénique permise ou devenue habituelle et préfère accepter un handicap qui aurait pu être éviter s’expose au reproche de non-assistance et éventuellement au ressentiment de son propre enfant. » Ceci semble contradictoire, car refuser une thérapie revient également à décider pour son enfant que sa qualité de vie vaut moins que l’authentique nature qui lui a été donnée par le hasard. Dans une perspective kantienne, il insiste sur l’hétérodétermination à la nature qui conditionnerait les limites d’une liberté interventionniste. Il comprend néanmoins que « l’eugénisme libéral nous met au défi de réguler l’avenir biogénétique des générations futures » Mais la question demeure : pourquoi considérer que la biogénétique transgresse la « nature humaine » ? Pourquoi l’expression négative d’auto-instrumentalisation de la nature humaine ? Habermas affirme qu’elle modifierait les règles du jeu moral de nos démocraties :

« Du même coup, la forme moderne de l’universalisme égalitaire en tant que tel ne va plus de soi. » [48]

Pourtant, les auteurs anglo-saxons avancent que nous ne serions plus dans le comme-si, mais que précisément, grâce au micro-eugénisme privé que constitue la thérapie génique, nous serions capables de corriger les injustices de la « loterie naturelle ». Nous sommes, il est vrai, dans l’enfance des possibles de la génétique. Nous pourrions être amenés à intervenir sur nos déterminismes, précisément dans un souci d’égalité, en récusant que l’irréductibilité de chacun tire nécessairement sa dignité du hasard.

L’universalisme principiel serait en effet pour Habermas le seul fondement consensuel dans des sociétés où prévaut le pluralisme des visions, car il fonde le règlement normatif des pratiques. Il en déduit, sans nous convaincre, que la régulation biogénétique (eugéniste) et l’universalisme moral seraient incompatibles. Face aux diverses conceptions de l’humain qui se font concurrence depuis le darwinisme — naturalisme et versions métaphysico-religieuses — existe une confrontation indépassable. Au-delà du pluralisme, Habermas suppose un Nous qui fonde l’éthique de l’espèce humaine. Mais précisément de quel Nous s’agit-il dans une société sécularisée et pluraliste ? Habermas affirme néanmoins ne pas vouloir revenir aux « certitudes fallacieuses de la métaphysique », et en conclut que nous ne pouvons dès lors espérer qu’un « dissensus persistant ».

L’auteur accorde néanmoins une place privilégiée à l’argument selon lequel toutes les éthiques de l’espèce humaine ne valorisent pas de la même manière l’idée que nous sommes moralement responsables. Cette liberté responsable rend illégitime l’instrumentalisation de la vie antépersonnelle, mais nous n’avons là rien encore qu’une intuition morale parmi d’autres intuitions morales hétérogènes. Il fait référence à Spaemann pour affirmer qu’une approche purement empirique de la génomique, qui fonctionnerait en termes d’essais et d’erreurs, « ferait que la morale dépendrait des images du monde devant se trouver dans une relation fondatrice circulaire ». Ceci implique le risque, pour Habermas, d’un abandon du fondement des droits de l’homme, qui entraînerait là encore un renoncement à tout fondement normatif des conflits de convictions basés sur des préjugés culturels. En d’autres termes, l’eugénisme démocratique met en danger l’universalisme égalitaire, et affaiblirait les « présuppositions naturelles de la morale. » En effet, pour Habermas, « les images naturalistes du monde sont moins dangereuses que les biotechnologies, dont le développement se poursuit sans frein » (138). Ceci me semble moins un argument philosophique que la défense non argumentée d’une doxa. Ce sentiment est renforcé par l’argument selon lequel toute forme de clonage thérapeutique inviterait à la pente glissante du clonage reproductif, ce qui revient à marquer peu de foi en ces valeurs démocratiques et déontologiques qu’il s’est lui-même employé à reforger après guerre, à travers l’éthique de la discussion. Habermas comprend d’ailleurs mal la résistance à ses arguments par ses collègues anglo-saxons (ou allemands, Sloterdik notamment) qui, n’étant pas kantiens, résistent à l’argument de l’hétérodétermination. Il semble ne pas comprendre que, pour Dworkin, l’argument est sans objet car, à la lumière d’une connaissance axiologique objective, il est légitime, voire responsable, de choisir telle ou telle caractéristique génétique pour le bien de l’enfant.

Nous voyons bien que nous nous trouvons face à des références culturelles hétérogènes. La hiérarchie entre les modèles ayant des effets pratiques ne peut s’établir qu’en termes d’inférence, ainsi le naturalisme faible de Dworkin semble ici plus cohérent pour assurer un dialogue entre sciences humaines et biogénétique.

Dworkin n’aurait jamais pu écrire « La technicisation de la sélection porte atteinte à la conscience morale des personnes ainsi traitées », comme le fait Habermas. Dans une perspective pragmatique et gradualiste, l’on ne peut logiquement assimiler embryon et personne. Dworkin n’assimile pas de manière causale et inéluctable eugénisme négatif et eugénisme positif (qui vise à un méliorisme de l’humain). La position d’Habermas, qui se veut déontologique, rejoint en termes de conséquence les positions métaphysiques qu’il a passé sa vie à dénoncer, car elles fondent la justification sur une idée de la vérité de l’humain, qui précisément ne peut se justifier de manière partagée, car elle est intrinsèquement métaphysique.

Nous voudrions analyser à présent les conséquences pratiques de ce constat méthodologique sur la question pratique la plus discutée autour de la PMA.

3.3.3 L’attitude eugénique est-elle inhérente aux nouvelles techniques de reproduction ?

Habermas se rallie au cri d’alarme [49] dénonçant la pente glissante [50] de l’eugénisme privé à l’eugénisme public. Il dénonce l’absence de relation intersubjective possible entre l’embryon et le médecin, rendant impossible une relation discursive et respectueuse du consentement éclairé du patient. Cela réduirait le médecin à un technicien designer traitant l’embryon comme un matériau de plus ou moins bonne qualité, et ne réimplantant que les « beaux embryons. » Cet argument semble fallacieux, car il part une fois encore de la présupposition que l’embryon est une personne, alors que tout ce que nous pouvons dire est qu’il appartient à l’humain, dès qu’il est volontairement réimplanté dans l’utérus d’une femme. C’est précisément là l’objet du débat, qui est évité en parlant de l’humanité a-sexuée de l’embryon. Habermas nous force à choisir entre ce qu’il considère être un essentialisme de la nature humaine, et une éthique de l’espèce humaine qui, se voulant d’emblée universelle, serait le fondement des droits de l’homme et de l’universalisme égalitaire. Cette position éthique mène logiquement à soutenir que la recherche sur cellules souches encourage massivement « les attitudes qui font passer d’un eugénisme négatif à un eugénisme positif », et délégitime toute thérapie génique au nom de principes. Cet argument nous semble inacceptable en termes de raison pratique, car le seul discours bioéthique défendable consisterait à renouer avec la raison pratique, en intégrant toute la complexité des principes universels et la dimension narrative et singulière des crises de l’existence que sont la naissance, la maladie, et la mort51. Sans cette tentative de réconciliation, la bioéthique se réduit à séculariser les fondamentalismes en conflit, qu’ils soient religieux ou scientistes.

Cela veut-il dire que nous soyons condamnés à être irrationnels face à nos choix moraux ou, qu’au contraire, la rationalité doive, lorsqu’il s’agit de notre corps, se penser au pluriel ? L’universel ne peut qu’être constitué par le tissage des nous qui donne un tissu social transculturel !

La tension entre je et nous doit-elle se penser comme une tension entre communautarisme et universalisme ou permettre cette dialectique du je-nous [52] qui articule pratique et paroles, affects et raisons ?

3.3.4 L’inviolabilité du corps humain

Le principe à défendre du point de vue d’Habermas est « l’inviolabilité du corps humain ». Mais pour l’embryon qui n’a pas encore véritablement de corps, de quelle inviolabilité s’agit-il, si ce n’est celle du concept de corps humain comme étant nécessairement issu d’un homme et d’une femme? A qui appartient ce corps ? Si la question est politique c’est que, comme le soulignait déjà Foucault, il y a une hubris de la démesure dans la création de clone, qui ne relève pas de la sexualité, mais bien du contrôle du désordre de la volonté individuelle. Les biotechnologies de la reproduction remettent en cause l’ordre de la filiation, sur lequel se fonde tout contrat social, tout droit patrimonial. Face aux usages socio-politiques du corps, Habermas prétend ne pas tomber dans la dénonciation du déterminisme génétique, mais en parlant de « nature subjective » de l’embryon dont on ne pourrait disposer, il dénonce « une soumission du corps vivant et de la vie à la biotechnologie. » Habermas semble mélanger la distanciation procédurale qui conditionne la neutralité de l’État à un principalisme exacerbé. Il s’éloigne ainsi radicalement de la position matérialiste critique de l’École de Francfort pour se rallier à des visions néo-heidegerriennes, qui tenteraient de retrouver l’essence de l’humain dans un rejet technophobe de tout ce qui pourrait toucher à la nature sexuée de l’humain, ce qui semble être d’ailleurs un mouvement de régression général en Europe. Cette position le mène à un moralisme difficilement distinguable d’une position autoritariste et néo-conservatrice qui, en termes de « droit des gens », peut devenir anti-constitutionnelle. On ne peut en effet créer l’intersubjectivité par contrainte juridique. Le risque politique d’une protection non suscitée des personnes [53] dans le domaine privé de la sexualité est une violence aux droits individuels de la reproduction. Habermas nous invite à repenser la naissance comme acte ontologique, en citant Arendt qui pourtant décrivait la naissance non comme « acte biblique », mais comme acte politique de libération permanente. Arendt l’avait bien compris, la naissance n’est plus aujourd’hui la ligne de partage instaurée par la philosophie dualiste entre Nature et Culture. La réconciliation entre « réalisme épistémologique » et constructivisme moral n’est pas très convaincante dans « l’Avenir de la nature humaine » pour cette raison même. Il y a une naturalisation de la morale dans le concept d’espèce humaine difficilement compatible avec un certain pragmatisme, même si Habermas nous assure que dans sa perspective « Kant devient compatible avec Darwin » [54]. Ceci lui permet d’opposer Jonas et Spaemann à Horkheimer et Adorno, pour rejoindre une ontologie Jonassienne dont les effets politiques semblaient légitimes hier, mais suspects aujourd’hui car il s’écrivent au futur antérieur. Ce discours est en tout cas contraire aux engagements politiques passés d’Habermas et révèle les limites d’une éthique procédurale à penser le singulier et le présent de l’action.

« Avec les interventions sur la génétique humaine, la domination de la nature se retourne donc en un acte de prise de pouvoir sur soi-même qui transforme la compréhension que nous avons de nous-mêmes du point de vue d’une éthique de l’espèce humaine — et qui pourrait toucher les conditions nécessaires à la fois à une vie autonome et à une compréhension universaliste de la morale. » [55]

Habermas rejoint ici les positions du dernier Jonas en rejetant la technologie génétique qui ferait de l’espèce un collectif singulier. Cette position l’amène à trahir l’héritage de la théorie critique au nom du rejet de l’eugénisme libéral, qui est décrit comme aussi dangereux que l’eugénisme d’État qu’il dénonçait dans les années 50. Cette confusion minimise la notion de liberté subjective au nom du « collectif singulier de l’espèce. » Comme si ce débat n’avait pas déjà eu lieu, comme si l’opposition entre naturalisme et spiritualisation de l’homme n’avait pas déjà fait son lot de victimes.

Pourtant, depuis Rousseau, la liberté de l’homme est neutre ; elle n’est plus liée à la capacité de se plier à une loi inscrite dans la nature mais à sa perfectibilité, à sa possibilité d’élaborer hors de la nature un monde moral, ce qui a mené Rousseau et Kant, dès la révolution française, à refuser d’identifier humanité morale et espèce humaine. Serions-nous à l’heure de la confusion politique de ces notions, voire de l’amalgame, dont le but serait de justifier l’intervention de l’état pour criminaliser certaines formes de recherche scientifique par des références douteuses aux totalitarismes d’État du siècle passé ?

Il est clair que le fondement d’un jugement politique ne peut se baser sur les seuls critères de la rationalité scientifique ou philosophique. Nous sommes loin du processus de dé-subjectivation du droit que recommandait Kant. Les droits subjectifs semblaient alors devoir primer sur le droit public. L’articulation en tension des droits privés et d’un droit public fédérateur est le défi de notre siècle. Ne faut-il pas rappeler que l’état de droit ne peut être synonyme d’une instance juge à laquelle il faudrait se soumettre ? Dans ce cas de figure, l’État transcenderait les personnes en naturalisant la règle. N’est-ce pas cette désincarnation des volontés personnelles qui est la plus a même de réifier la loi « naturelle », prétendant s’imposer à nouveau comme le masque de l’hétéronomie sur le visage singulier de la personne ?

3.3.5 Contre un universalisme simpliste, un universalisme ouvert

Au nom du principe de précaution nous voudrions oublier, une fois de plus, qu’il n’y a pas de liberté sans risque, pas de démocratie sans maintien du dissensus. Le fantasme métaphysique du déclin du concept d’humanité, justifié par une vision simpliste de l’eugénisme, sert à justifier une régression, privilégiant les êtres personnes potentielles aux personnes de droit, au nom de la sauvegarde des institutions paternalistes menacées par la re-production a-sexuée. L’imagination qu’exigent les nouvelles techniques pour rétablir un cadre de relations justes entre les protagonistes est par contre absente ; elle supposerait d’assumer les conséquences de nos choix biotechnologiques. Le pouvoir sur la vie et la mort n’est plus du côté de l’église ni de l’État. Il est urgent de penser les conditions de démocratisation des biopouvoirs, afin de penser une politique de co-responsabilité qui n’oscille pas entre le consensus moral et le conflit des individualismes, mais s’oriente vers un humanisme qui n’aurait plus rien à voir avec celui que dénonçait déjà Sartre après guerre, et qui semble vouloir ressurgir au nom même des valeurs qu’il a trahies. Il ne peut s’agir aujourd’hui que d’un humanisme composé d’universels-singuliers qui aurait le futur pour horizon, un futur où le risque inhérent au devenir libre et responsable de l’humain ne soit pas exclu.

4 Conclusion

Nous avons vu combien la question de la place de l’embryon dans la cité est à la fois une question de bioéthique, de biodroit, et de biopolitique. Il semble dès lors que ni le concept d’embryon ni le concept de personne, auquel on tente de l’associer au nom de la cohérence des droits de l’homme (Habermas, Jonas), ne peuvent être décidés sans que soient éclaircis les conflits d’intérêts qui visent, jusqu’à l’absurde, à sacraliser l’embryon hors du ventre des femmes, pour la Cité. J’ai tenté de souligner le déficit démocratique du discours bioéthique, s’il n’est pensé comme un lieu de confrontation de la complexité des enjeux sociaux suscités par les avancées biomédicales. L’argument récurrent de la pente glissante ne fait que signaler un malaise social sans le traiter. Actuellement, l’enjeu fondamental, devant l’indécidabilité de la définition du statut de l’embryon, est que sa définition ne peut encore trancher le jeu de pouvoirs entre scientistes et essentialistes dans une cité pluraliste.

Le principe de précaution joue sur la confusion des genres, entre risques inhérents à l’incertitude de démarches scientifiques restant au stade d’hypothèses, et le catastrophisme, vendu comme l’ultime vertu morale. Il nous rend incapables de gérer l’incertitude inhérente à la démarche scientifique.

Il nous reste à inventer une méthodologie bioéthique qui puisse assumer la complexité de la transdisciplinarité des acteurs-décideurs. Pour cela, la réflexion éthique doit se repenser, au-delà du modèle de l’éthique de la discussion si utile après guerre, comme raison pratique, capable de hiérarchiser les rationalités plurielles, et non comme le lieu stérile de la confrontation entre liberté et devoir, qui rend la littérature bioéthique si ennuyeuse et répétitive.

Il s’agit à nouveau de re-démocratiser l’espace public [56] en ne confondant pas risques hypothétiques qui sont une invitation à penser, et risques avérés qui invitent à agir pour prévenir. La peur ne fait intervenir aucune hypothèse mais résonne (à défaut de raisonner) des peurs du passé dans le présent, pour se prémunir des catastrophes projetées dans l’avenir. C’est la recette éculée de tout régime autoritaire, qui s’appuie sur le sacré pour interrompre toute démarche critique et dialogique inhérente à l’éthique responsable, et dénonce le libéralisme philosophique.

Une recherche publique libre du politique nous permettrait-elle d’éviter de confondre individuation biologique et personne juridique ? L’embryon ne fait pas partie de la cité. Son sort de diasporique ne peut être régulé que par une claire description des enjeux et une normalisation dialogique des pratiques biomédicales, basés sur la confiance que les mères restent, en démocratie, les meilleures garantes des embryons destinés à devenir des enfants.

Dans le temps et l’espace suspendu de l’expérimentation, l’embryon est un matériel biologique au devenir limité, sans filiation, et sans temporalité.

C’est l’entrée dans l’histoire [57] qui fait des humains des êtres libres et responsables. Les cellules d’embryons délocalisées dans des boîtes de Pétri n’ont ni sexe ni histoire, à moins qu’une femme, mère biologique, génétique ou pas, ait l’intention, le désir, de leur offrir une hospitalité, engagement éthique de faire du même un autre. Le reste est accessoire à l’expression de cette volonté de faire place à l’autre dans son corps, ou dans son existence. Face à cette phénoménologie, la naturalité de la fabrication d’enfants apparaît enfin contingente.

Comment faire croire que l’humain se définit par « l’animation » des cellules, la rencontre de deux patrimoines, ou que ce sont les médecins et les généticiens qui font les enfants ?

D’autre part, le fait que l’engagement à procréer soit de moins en moins risqué, grâce à la thérapie génique par exemple, reste accessoire par rapport au fait que l’embryon, au-delà des péripéties de sa fabrication, fasse ou non partie de la cité.

Il semble clair, à ce point de notre analyse, que vouloir accorder à l’embryon précoce le statut de citoyen, une personne ayant des droits, mène à déplacer l’opposition, devenue factice, entre parentés biologique et sociale, pour inventer une parenté juridique. L’essentiel pourtant, comme l’a montré Marcella Iacub, est de penser les droits de la naissance, afin d’éviter l’absurdité d’une parentalité multiple, menant à l’absence de parentalité. Seule la responsabilité individuelle de l’engagement intentionnel envers un enfant à naître peut assurer une pertinence à un cadre régulatoire qui puisse assurer une protection aux embryons destinés à naître, contre toute forme d’expérimentation ou d’instrumentalisation. Aujourd’hui, la naissance peut être le fruit d’un choix qui limite les risques de la loterie génétique, lorsqu’ils sont devenus prédictibles. Si le principe de justice implique l’idée d’égale opportunité, nous ne pouvons, au nom de la sacralité de l’embryon, interdire la recherche sur cellules embryonnaires. Elle seule pourrait offrir à ceux dont la stérilité est biologique d’accéder à une parentalité intentionnelle. Cette recherche permettrait d’éliminer les effets de la malchance de la loterie génétique en donnant un sens pratique au principe de non-discrimination. Être parent ne signifierait plus « faire comme si » tous les enfants étaient égaux à la naissance par principe, mais exigerait de partager avec les médecins la responsabilité de prévenir, lorsque faire se peut, le développement d’une condition délétère à l’enfant à venir, d’abord par la sélection d’embryons, puis éventuellement par la thérapie génique. La question de déterminer à partir de quand un embryon devient un sujet de droit implique donc de développer une vision proactive de la justice, qui ne soit pas basée uniquement sur des régulations nécessaires de gestion et de compensation des inégalités naturelles, mais aussi de corrections préventives de celles-ci. Cette vision évolutive de la responsabilité de corriger ces inégalités génétiques, en socialisant autant que faire se peut un athéisme du hasard [58], rend possible l’instauration d’une tension féconde entre déterminisme et liberté.

Mylène Baum

Notes :

1: Dominicus Gundisallimus traduit l’œuvre de IBN Gabirol et William D’auvergne se réfère à son œuvre en l’appelant « Fons Sapientia » mais le prend pour un auteur chrétien et c’est Duns Scotus qui perpétuera l’idée del’universalité de la matérialité de la substance spirituelle dans la philosophie chrétienne (voir Jewish encyclopedia.com, l’article consacré à Ibn Gabirol.)

2: Didier Ottaviani, Le paradigme de l’embryon à la fin du moyen-âge. La revue Astérion, 2003, page 2.

3: Nous retrouvons cette idée de potentialité dans le concept de « personne potentielle », visant à protéger l’embryon de la recherche, dans les textes du comité d’éthique français aujourd’hui.

4: T. d’Aquin, Somme théologique, I qu 118, art 2, Paris, Cerf, 1994.

5: Idée qui sera défendue dans une certaine mesure par Ibn Gabirol et qui consistera le point de désaccord de Thomas d’Aquin avec celui-ci.

6: Ibn Gabirol ( In Fons vitæ, traduction de J. Shlanger, Paris, Aubier Montaigne, 1970, page 43 pour la version française page 8 version latine. Comme le souligne Shlanger le traducteur, les copistes ont fait ici un contresens en traduisant l’ essence universalis par Dieu au lieu de traduire par l’être crée(ou matière).

7: Dante, Convivio, IV, XX, 5, cité par Didier Ottaviani, op. cit.

8: Voir à ce propos le livre de Bruno Latour « Politiques de la nature. Comment faire entrer les sciences en démocratie », La Découverte, Paris, 1999.

9: Fabio Turone « New law forces Italian couples with genetic disease to implant all their IVF embryos » BMJ 2004 ; 328 : 1334(5june)

10: cf recente loi du 8 juin qui confirme cette loi.

11: National Bioethics Advisory Commission, Ethical Issues in Stem Cell Research, final report 1999 (cité par La Recherche, mars 2000.)

12: Voir à ce propos l’article du journal Le Monde du 7 juin 2000 « Vivre plus vieux et mieux vieillir, les pistes ouvertes par la recherche »

13: Fameux moi de mai. A chacun sa révolution…mais cette révolution de la recherche biologique est beaucoup plus politique qu’il n’y paraît….

14: Cf. Geron, http : //www. geron. com/GeronPress ainsi que le dossier spécial établi par le « Hasting Center Report »

15: Voir notamment Amartya Sen « L’économie est une science morale », La Découverte, 1999.

16: Voir à ce propos Peter Singer, « Une gauche darwinienne évolution, coopération et politique » le sel et le fer éd Cassini. L’auteur y défend l’idée d’une perfectibilité de la nature humaine fondée sur ce qu’il appelle un darwinisme de gauche qui ne nierait pas l’existence d’une nature humaine ni ne chercherait à soutenir une nature humaine bonne, mais défendrait une vision réaliste fondée sur l’idée que nous serions la première génération à comprendre et à pouvoir agir sur les mécanismes de l’évolution, ce qui implique des risques liés à une nouvelle forme de liberté.

17: Cette question a été largement débattue par Paul Rabinow et moi-même lors du colloque « Vie, concepts et institutions » (Paris, 2004). Elle mériterait un essai à part entière et réclame ce que Rabinow appelle une « anthropologie de l’actuel », qui dépasse le cadre de la présente réflexion.

18: Cf Le livre de Marcella Iacub “Les droits de la naissance” qui montre comment « les techniques de reproduction sont des techniques de qualification de la vie ».

19: Transfert de noyau d’un œuf normalement fécondé dans l’ovule énucléé d’une femme, scission d’embryons, clonage par transfert de noyau, clonage de lignées cellulaires (non reproductif)… rappelons que même les vrais jumeaux sont des êtres différents sur le plan biologique.

20: Cf. là encore la loi Mattei adoptée en France le 30 janvier 2003, qui consiste à faire du clonage reproductif humain un “crime contre l’humanité”, et qui punit le fait de recourir au clonage reproductif humain d’une peine de trente ans de réclusion criminelle. Ce crime est placé entre le crime contre l’humanité et le crime contre la personne, et laisserait entendre que certaines naissances sont assimilables aux pires meurtres de masse commis au XX siècle sous le nazisme. Il semblerait que l’argument de la pente glissante ait ici glissé trop loin!

21: John Rawls, « The law of Peoples », ou « Droit des gens », Editions Esprit, 1996 pour la traduction française.

22: Arrêt Perruche du 17 novembre 2000, et loi « contre l’eugénisme et le clonage reproductif » enregistrée à l’Assemblée Nationale le 31 janvier 2003, qui punit de 30 ans de réclusion criminelle « l’organisation de la sélection des personnes ». « Le fait de procéder à une intervention ayant pour but de faire naître un enfant génétiquement identique à une autre personne vivante ou décédée est puni de trente ans de réclusion criminelle » (Art 214 –1 et 2).

23: Marcella Iacub : Libération « Le clonage humain, un « crime » sans victime », novembre 2003.

24: expression abusive de la loi du 31 janvier 2003.

25: Olivier Cayla & Yan Thomas, « Du droit de ne pas naître. A propos de l’affaire Perruche », Le débat, Gallimard, 2002.

26: Simone Batemen et Tania Salem « L’embryon en suspens », Cahiers du genre n°25, 1999, coll. l’Harmattan.

27: Dans la plupart des pays d’Europe, l’avortement est dépénalisé jusqu’à 14 semaines.

28: Henri Atlan, « Les étincelles de Hasard », Seuil, 2002.

29: Testard, Jacques 1994. “les risques de la purification génique, questions à Pierre André Taguieff” esprit 200, p 280.

30: cf. M. Baum, in « Procréation médicalement assistée : régulation publique et enjeux bioéthiques », Bruylant, Bruxelles, 2003, p. 219-243.

31: cf. H. Atlan, La science est–elle inhumaine ?, Bayard 2002.

32: Le 26 février 2004, le Sénat américain a vu la victoire du “anti-abortion movement”, en donnant un statut de personne à l’embryon, le qualifiant “d’unborn victim of a violent act”. Cette loi institue le principe que toute agression envers un fœtus en fait une victime tout autant que sa mère, tout en créant un conflit d’intérêt entre la mère et l’enfant lorsque celle-ci désire avorter. Cette loi avalise dans le droit américain le fait que la vie commence à la conception et pourrait, selon les démocrates, mener à l’idée que “embryonic stem cell research becomes murder, and abortion in the first semester becomes murder as well” (New York Times, 26 mars 2004). Ici encore l’embryon a place dans la cité, mais comme victime potentielle, ce qui permet un contrôle paternaliste sur la production d’embryons, avantageant les activistes pro-life contre les mouvements pro-choice des femmes.

33: Voir par exemple le « Human Cloning Prohibition Act » de 2003, qui criminalise dans une confusion totale clonage thérapeutique et clonage reproductif, au nom du fait que leurs techniques sont similaires. Son but est essentiellement de ne pas libérer de fonds publics pour cette recherche, alors qu’elle a commencé sur les fonds privés de la société Geron. La majorité de la recherche américaine dans ce domaine se poursuit d’ailleurs sur fonds privés depuis que le NIH ne la finance plus, pour des raisons politico-religieuses.

34: Dominique Memmi, “Les gardiens du corps”, Dix ans de magistère bioéthique, Éditions l’EHESS, Paris, 1996.

35: Henri Atlan a montré dans « Les étincelles de hasard » comment « l’existence d’un sens des évènements naturels dépend de la faculté qu’ont les hommes de domestiquer le hasard » p. 372, tome 1, La librairie du XXème siècle, Seuil, 1999.

36: Voir à ce propos Jean-Jacques Kupiec et Pierre Sonigo : « Ni Dieu ni Gène, pour une autre théorie de l’hérédité », Seuil, 2000. Ils y montrent comment la génétique brise le lien matériel qui lie les ancêtres à leurs descendants et y substitue un lien virtuel.

37: E. Levinas, « Totalité et infini », Martinus Nijhoff publishers, 1961, page 108.

38: Ibidem, page 169.

39: Je me réfère ici à la conférence donnée par Marcella Iacub le 19 mars 2004, au Collège de philosophie, sur l’affaire Buzzancca, montrant que l’artificialisme de la maternité a précédé les techniques médicalisées de la reproduction.

40: Expression que j’emprunte à Julia Kristeva.

41: Dominique Memmi, « Les gardiens du corps, dix ans de magistère bioéthique », Éditions de l’École des hautes études en sciences sociales, 1996.

42: D. Memmi, ibidem, page 17.

43: J. Habermas, « L’avenir de la nature humaine : Vers un eugénisme libéral ? » Gallimard, 2002.

44: Ibidem page 128.

45: Ibidem page 132.

46: Ibidem page 132.

47:Ibidem page 133.

48: Ibidem page 135.

49: Il n’est pourtant guère de terme plus problématique que celui d’eugénisme. Tous les usages de ce mot sont aujourd’hui gouvernés par des intentions polémiques et des conflits d’intérêts autour de (a) la normalisation de l’usage de l’embryon dans la cité, et (b) la reproduction à travers des règles universelles visant à préserver le patrimoine génétique de l’humain. Il faut néanmoins que l’idéal de l’humain à réaliser ou à préserver diffère selon les idéaux politiques. Il est donc essentiel de souligner l’indétermination de la catégorie d’eugénisme, et de ne pas implicitement confondre eugénisme contemporain et eugénisme nazi, ne représentant qu’une vision politique dévoyée de la technique eugéniste, qui ne doit pas nous mener à des conclusions technophobes sur les possibles à penser pour demain.

50: Il faut définir cette notion comme un argument d’autorité qui ici prend la forme empirique selon laquelle faire A mènera, pour des raisons de processus social, nécessairement à B. L’intention première de ce genre d’argument est de prévenir le changement pour en rester à un status quo, ce qui conduit généralement à des arguments conservateurs, voire réactionnaires.

51: Aujourd’hui précisément, ces notions qui relevaient de la destinée relèvent de choix qui peuvent impliquer autrui, et donc notre responsabilité.

52: J’emprunte cette image à la pensé hébraïque, dans laquelle le genou (berekh) articule le haut et le bas, l’action et les valeurs. Le but de l’oscillation du genou est « d’articuler individu et communauté dans une séparation liante » (E. Levinas).

53: Particulièrement, la protection non sollicitée par les femmes, en ce qui nous concerne ici.

54: Habermas, « L’éthique de la discussion et la question de la vérité », Grasset, 2003, page 68.

55: J. Habermas, « L’avenir de la nature humaine », op.cit., page 75.

56: M. Callon, P. Lacousmes, Y Barthe, « Agir dans un monde incertain », Seuil, 2001.
57: Le hasard, la nécessité, ou le désir, change la donne.

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